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De Tocqueville à De Gaulle

Daniel Laufer
La Nation n° 2111 7 décembre 2018

En plusieurs éditions de La Nation de ce printemps, Jacques Perrin a présenté, non sans finesse, le dilemme dans lequel s’est débattu, sans s’y enfermer, Alexis de Tocqueville, noble et démocrate postrévolutionnaire. C’est ainsi qu’il apparaît dans La Démocratie en Amérique et L’Ancien Régime de la Révolution, mais plus encore dans ses notes de Voyages en Sicile et aux Etats-Unis et dans ses lettres. Raisonnablement démocrate, mais d’une fibre tout aristocratique: «Quand je cause avec un gentilhomme, bien que nous n’ayons pas deux idées en commun, je sens du premier coup que nous sommes de la même famille […]. Il se peut que je préfère un bourgeois, mais je sens en lui un étranger» écrit-il à Nassau Senior en 1849. Il jette un regard aigu, tant sur les mœurs américaines que sur la société française issue de la Révolution. Sa perspicacité lui fait distinguer en particulier les ressorts du développement extraordinaire de l’économie des Etats-Unis. Il note en 1831:

Une des conséquences les plus heureuses de l’absence de gouvernement (lorsqu’un peuple est assez heureux pour pouvoir s’en passer, choses rare) est le développement de force individuelle qui ne manque jamais d’en être la suite. Chaque homme apprend à penser, à agir par lui-même sans compter sur l’appui d’une force étrangère […] Un homme conçoit-il la pensée d’une amélioration sociale quelconque, un collège, un hôpital, une route : il ne lui viendrait pas à l’idée de s’adresser à l’autorité. Il publie son plan, s’offre à l’exécuter […] combat corps à corps contre chaque obstacle.

Et Tocqueville de conclure que «le résultat général de toutes ces entreprises individuelles dépasse de beaucoup ce qu’une administration pourrait entreprendre».

Il revient à maintes reprises sur ce point en citant les exemples que lui fournissent ses interlocuteurs, gens généralement haut placés et dont il loue la franchise et la hauteur de vue. Il remarque lui-même:

Le gouvernement américain ne se mêle pas de tout, il est vrai, comme le nôtre. Il n’a pas la prétention de tout prévoir et de tout exécuter ; […] il n’encourage point le commerce, ne patronise pas les belles-lettres et les arts. Mais quant aux grands travaux d’utilité publique, il n’en abandonne que rarement le soin aux particuliers.

«Comme le nôtre», écrit le grand Alexis. On croit lire un auteur du XXIe siècle. Et pourtant! Il suffit de remonter à Colbert pour constater l’emprise extraordinaire de l’Etat, c’est-à-dire du roi et de son ministre, sur l’économie. Il n’est pas de manufacture qui ne soit créée, en particulier dans le secteur des draps et des tissus de toutes sortes, non seulement sur leur initiative, mais aussi grâce aux investissements directs des deniers royaux. Et non pas des banques.

Les diverses républiques françaises, le Premier et le Second Empire (celui-ci à un moindre degré il est vrai) ont assumé de diverses manières ce lourd héritage. Et le roi Charles Ier de Gaulle en a fait sa philosophie économique. Il a eu un témoin privilégié de sa politique, Alain Peyrefitte, le seul de ses ministres qui avait le droit de prendre des notes. Et il ne s’en est pas privé, comme en témoignent les trois volumes de C’était de Gaulle (Editions de Fallois –Fayard, 2000) Ainsi note-t-il le 22 mars 1966, dans Le Salon doré:

Le Général revient sur la supériorité scientifique et technique des Etats-Unis, qui ne cesse de le préoccuper.

GdG : Mais, enfin, pourquoi sommes-nous à la traîne des Américains pour les calculateurs ? […] pourquoi ne sommes-nous pas foutus de faire des ordinateurs qui seraient plus directement utiles à notre intérêt national ?

Puis peu après:

GdG : Nous serons pour finir dans la main des Américains, si l’Etat ne s’en mêle pas. Evidemment, il faut que l’Etat s’en mêle. Vous voyez bien : en France, il n’y a pas de grands projets si ce n’est pas l’Etat qui en prend l’initiative. Comme toujours, les patrons se préoccupent de faire des affaires juteuses, ils se foutent de l’intérêt national.

Et bien entendu, quatre mois plus tard, le plan relatif aux calculateurs électroniques, œuvre brillante du Commissaire général au plan, est approuvé dans l’enthousiasme. Le Plan, le Plan, le Plan, c’est toujours la réponse gaullienne aux retards de la France, alliée à la méconnaissance des ressorts de l’initiative privée. A cet égard, rien n’a changé en France depuis Colbert!

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