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Le septante-cinquième

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 2130 30 août 2019

Notre septante-cinquième «camp de Valeyres» s’est déroulé à la Maison de Jeunesse de Vers-l’Église. Sans parler des visiteurs, l’équipe, féminine pour un tiers, a compté jusqu’à dix-huit participants, de 17 à 25 ans, bacheliers ou détenteurs d’un certificat fédéral de capacité.

Malgré les bouleversements de la société et des mœurs, les questions fondamentales restent les mêmes. Tout au plus se posent-elles à travers d’autres thèmes, et plus d’anglicismes. Une jeune fille (avec une rose bleue sur l’épaule) nous a présenté les techniques et la philosophie du tatouage; son frère nous a parlé des «arts martiaux mixtes» (qu’il pratique dans son galetas avec un camarade). Nous avons parlé des soubassements techniques et commerciaux de ce qu’on a appelé le Dieselgate. Le créateur d’une start-up nous a présenté les difficultés rencontrées pour mettre au point son produit, trouver le financement et démarcher les grandes entreprises pour le vendre. Plus classiques, nous avons entendu des présentations sur les conceptions éducatives de Lev Vygotsky, reprises par la Haute école pédagogique, sur le multiculturalisme, sur les rapports entre la musique et les mathématiques, les relations entre les États-Unis et l’Europe, les nouvelles routes de la soie et le terrorisme russe, la violence en Pays de Vaud, la domination arabe en Arménie. Parmi les sujets traités sur plusieurs soirs, le nihilisme et le féminisme. Et comme on le constate chaque année, au bout de trois jours les sujets les plus divers se font écho les uns aux autres.

Si différents qu’ils soient de leurs prédécesseurs, les jeunes participants ne se montrent pas moins disposés à discuter, à écouter, à argumenter et, en général, à se rendre à des arguments qu’ils jugent meilleurs que les leurs.

Il y a les must, la marche du premier jour, d’Aigle à Vers-l’Église en passant par le col de Bretaye, la marche du milieu, du lac Retaud à La Paraz en passant derrière la palette d’Isenau, le travail aux champs, en l’occurrence un grand étang à nettoyer, la musique après le repas de midi, le récital de M. Alexandre Pahud, qui nous a interprété les deux premiers mouvements du Concerto italien de Bach. Et, pour encadrer la journée et remettre toute chose à sa place, l’office divin, le matin dans la salle d’étude et le soir dans la belle église en contrebas. Nous sommes toujours frappés par la facilité avec laquelle les jeunes générations entrent dans la pratique de l’office. Il comble manifestement un besoin.

Valeyres, c’est, en principe, une retraite. Et une retraite demande, toujours en principe, de se déconnecter du monde. Or, les jeunes – et pas seulement les jeunes – sont inéluctablement et inextricablement connectés. Ils entretiennent en permanence des contacts, généralement sans intérêt, ils en sont eux-mêmes parfaitement conscients, avec d’innombrables «amis» numériques. On est loin des débuts, époque que le soussigné lui-même n’a pas connue, où M. Morel allait chercher les participants à la gare d’Orbe, et les ramenait à Valeyres-sous-Rances en char à bancs. Ils se trouvaient hors du monde pour quinze jours, avec un seul téléphone (fixe) dont l’usage était, sauf catastrophe majeure, très mal accepté par la maîtresse de maison. C’était juste après la guerre. Il n’y avait guère de divertissements et on était encore dans l’ambiance de l’aide à la campagne. Dès lors, passer quinze jours dans un domaine viticole représentait non une parenthèse à arracher à un programme déjà engorgé, mais une occasion unique de vacances dépaysantes. La retraite de Vers-l’Église a beaucoup plus de concurrents: les camps scouts, les vacances en famille façon Tanguy, les voyages à l’autre bout du monde («une occasion unique»), les petits boulots pour les payer.

Ajoutons la Fête des Vignerons, qui a engendré un invraisemblable surcroît de va-et-vient. Mais l’interdire…

Les contacts se nouent. En deux semaines, les participants peuvent voir de quel bois nous nous chauffons. Et il arrive que l’un d’entre eux fasse un pas de plus et accepte une charge dans le cadre de notre travail pour le Pays. Rien n’est plus gratifiant. Le renouvellement est une exigence vitale pour un mouvement politique qui veut la «Renaissance vaudoise». Une génération n’y suffit pas, deux non plus, d’ailleurs.

Dix-huit participants, certains jugent que c’est très peu et que l’effort consenti est disproportionné. Jugement superficiel, car nous ne sommes pas un mouvement de masse mais de personnes. Chacune est précieuse. Nous pourrions sans doute réunir quelques participants de plus, avec le risque de diminuer le caractère très personnel des relations. De toute façon, il ne faut pas être trop nombreux pour discuter à fond.

Ce serait une erreur de penser que l’organisation d’un tel camp est principalement un effort et un sacrifice. Pour nous, c’est, outre le renouvellement des cadres et des troupes, l’occasion de rafraîchir nos idées en les confrontant à celles des nouvelles générations, à leurs modes, à leurs préjugés, à leur manière d’envisager l’avenir, leur métier, leur famille. «Jusqu’à vingt-cinq ans, on élabore ses idées, après, on les défend…» avertissait M. Regamey. Le camp de Valeyres nous offre la possibilité de prolonger le stade de l’élaboration. En ce sens, nous devons toute notre reconnaissance aux participants, en particulier les nouveaux.

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