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Actualités  |  Mardi 24 mars 2015

De la violence à la force

La violence est partout, physique et morale: conflits armés, «exécutions» en vidéo, agressions dans les rues, attaques de magasins et de banques, manifestations de casseurs, pillages, chantages et rançonnages, enfants et femmes (parfois maris) battus, gestes obscènes, incivilités diverses.

Il y a quelques années, les élèves vaudois recevaient No limits, un ouvrage du dessinateur Derib. Le propos de l'artiste était d'illustrer la stérilité de la violence ordinaire et ses conséquences destructrices tant pour l'auteur des actes violents que pour ses victimes. Quel fut l'effet du livre sur ses lecteurs? Difficile d'en juger.

Beaucoup pensent qu'en poursuivant pénalement les moindres manifestations de la violence, on finira par l'éradiquer, c'est-à-dire à l'arracher avec ses racines. Ainsi, le Conseil de l'Europe exerce des pressions continuelles sur la France pour qu'elle interdise les châtiments corporels, en particulier la fessée.

Or, alors même que la violence est dénoncée de partout et avec plus de force que jamais, on doit bien constater qu'elle ne s'éradique pas le moins du monde, qu'elle se radicalise au contraire et ne cesse de prendre des formes nouvelles, plus diffuses, plus profondes et plus inquiétantes. Doit-on en conclure que la violence est naturelle à l'homme?

Ce qui est naturel, ce n'est pas la violence, c'est la force. La violence n'est que la forme non maîtrisée de la force, et c'est cette non-maîtrise qui la rend odieuse. Mais la force comme telle n'est pas odieuse. Elle est même reconnue depuis toujours comme une des quatre vertus, avec la prudence, qui discerne la fin juste et les moyens de la réaliser, la tempérance, qui est la maîtrise des instincts, et la justice, qui veut que chacun, saint ou crapule, reçoive son dû. La force, c'est le courage, la résistance au mal, la persévérance dans la poursuite du bien.

Ces quatre vertus sont inséparables. Elles s'étayent et se limitent les unes les autres. C'est ainsi que la force est informée par la prudence, retenue par la tempérance, orientée par la justice. Et c'est lorsqu'elle se voit privée de ces correctifs vertueux qu'elle déborde et se dégrade en violence.

La civilisation, ce n'est pas l'impossible suppression de la violence, c'est sa domestication. Pour formuler les choses plus exactement, c'est sa réorientation dans la perspective du bien commun. Car le recours à la violence réorientée de la force est parfois nécessaire pour contenir la force débridée de la violence. Ainsi en va-t-il des punition parentales, des heures d'arrêt à l'école, des actes de contrainte de la police et de la justice pénale. En contester a priori la légitimité revient à laisser le champ libre à la violence, dans l'étrange espoir d'en finir avec elle.

(Olivier Delacrétaz, 24 heures, 24 mars 2015)