Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée
Actualités  |  Mardi 10 mars 2015

Le droit au blasphème, une notion contradictoire

Les esprits forts revendiquent le «droit au blasphème». Ils font de l'insulte à Dieu la forme suprême de la liberté d'expression.

Ils affirment avec M. Valls, gardien de la morale républicaine, que le blasphème relève du combat d'idées et non de l'insulte aux personnes. Il ne faut pas avoir beaucoup d'imagination ni de sensibilité pour penser cela. Insulter Dieu, c'est forcément insulter celui qui le révère. C'est lui dire qu'il est un imbécile qui croit à des balivernes, un salaud qui se fait le complice des turpitudes ecclésiastiques, un poltron qui n'ose pas affronter le monde sans son illusoire tutelle divine.

Le chrétien d'aujourd'hui est mal à l'aise avec le blasphème. Il n'y réagit guère publiquement, à part quelques évangéliques et quelques catholiques traditionnels. Il se dit que Dieu est au-dessus de tout cela et que «l'invective n'atteint jamais que celui qui la lance»; que le blasphème est une provocation, un piège dans lequel il refuse de tomber; qu'il ne veut pas encourir le ridicule du censeur, ni faire rejaillir ce ridicule sur Dieu. Cependant, malgré tous ces excellents motifs, il s'en veut au fond de lui de ne pas défendre sa foi plus vigoureusement et se demande s'il n'est pas, tout simplement, lâche. Il n'a pas tort de se le demander.

Les djihadiste n'ont pas de telles délicatesses ni de telles faiblesses, trop heureux de trouver dans les blasphèmes des Occidentaux une justification bienvenue à leurs crimes les plus abominables.

On peut imaginer que quelqu'un utilise le blasphème pour secouer une société dominée par le clergé, corsetée par la morale, le contrôle social et la délation, où les arts, la littérature et le pouvoir politique n'ont d'autre fonction que de contribuer à imposer la bonne doctrine. Le moins qu'on puisse dire est que nous en sommes loin et que le recours au blasphème «pour faire bouger les choses» relève du gag pur et simple.

C'est bien le problème du blasphémateur en général, et celui de Charlie-Hebdo en particulier. Les insultes à Dieu ne prennent leur pleine force de contestation que si elles font courir un risque sérieux à leur auteur. Si tout le monde a «droit au blasphème», celui-ci tombe à plat. Il ne manifeste plus qu'un vulgaire laisser-aller. La lassitude ennuyée qu'il suscite contraint le blasphémateur à radicaliser constamment sa litanie… en vain, d'ailleurs: sans l'attentat du 7 janvier et sa récupération à titre de diversion par un gouvernement aux abois, Charlie partait en faillite par manque d'abonnés.

Le droit au blasphème n'est pas bon pour le croyant, qu'il livre sans recours aux offenses du blasphémateur. Mais il n'est pas meilleur pour celui-ci, dont il stérilise les transgressions en les pourvoyant d'une autorisation officielle.

(Olivier Delacrétaz, 24 heures, 10 mars 2015)