Le «racisme systémique», une théorie inutilement conflictuelle
Quand on dénonce quelqu’un pour racisme, on porte une accusation morale. Quand on dénonce un «racisme systémique», on porte une accusation sociale. On met en cause une société en général et sous tous ses aspects, puisque «systémique» signifie que tout se tient. La société en question, c’est la civilisation occidentale, dite aussi «civilisation blanche», que les théoriciens du racisme systémique jugent essentiellement raciste. A leurs yeux, nos usages, nos institutions, nos relations sociales, notre littérature, nos arts et nos plaisanteries, tout serait imprégné de racisme, conscient ou non.
De ce point de vue, il n’y a plus ni Suédois, ni Espagnols, ni Anglais, ni Polonais, ni Irlandais, ni Serbes, ni Vaudois. Il n’y a que les représentants, blancs, du racisme systémique. Les différences nationales et culturelles sont de vagues teintures qui n’arrivent plus à dissimuler la vraie nature d’une civilisation en bout de course et enfin démasquée.
Dans la perspective ultime du racisme systémique, la liberté de se déterminer moralement n’existe pas: un Européen peut bien réprouver les discours et les actes racistes, il lui restera toujours un fond de racisme par le seul fait qu’il appartient à la civilisation occidentale. C’est comme un patron dans la conception marxiste. Il peut traiter ses employés le plus correctement du monde, il n’en contribue pas moins à l’exploitation de la classe ouvrière.
Dans un pays où coexistent plusieurs groupes raciaux d’une certaine importance, la théorie du racisme systémique est un vrai poison. Généralisant abusivement, elle formule a priori tous les problèmes en termes de races et de conflit de races. Elle fournit aussi au démagogue un grain facile à moudre. Pour assurer son pouvoir, il suffit à celui-ci d’invoquer à tout propos le racisme systémique de la majorité et le statut de victime, non moins systémique, de la minorité dont il s’institue le mandataire. Il radicalise le sentiment, pas forcément infondé, d’exclusion sociale. Il exacerbe les désirs de vengeance, revenant inlassablement sur des faits anciens, amplifiés et simplifiés. Et il désigne les générations actuelles comme pleinement responsables des forfaits, réels ou mythiques, des générations précédentes.
A cette menace conflictuelle, une réponse possible est de créer et de recréer, sans acception de race, des relations communautaires de tout genre, de voisinage et de quartier, de renforcer les liens professionnels, associatifs, sportifs, musicaux, estudiantins. Ça ne suffit évidemment pas pour supprimer toute tension raciale, mais permet au moins de dépasser et d’humaniser la froideur biologique et, donc, incomplète de l’approche raciale des rapports sociaux. Mais ce n’est envisageable que si l’on rejette explicitement la notion de racisme systémique.
(Olivier Delacrétaz, 24 heures, 26 novembre 2019)