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La grande misère de l'armée

Jean-François Cavin
La Nation n° 1877 4 décembre 2009
A quel jeu joue donc le conseiller fédéral Ueli Maurer, chef du Département de la défense, de la protection de la population et des sports, qui dit vouloir doter la Suisse de la meilleure armée du monde, mais envisage de ne pas renouveler sa flotte aérienne? Son soudain défaitisme a provoqué la stupeur dans divers milieux, où l'on sait que les vieux Tiger, dont l'entretien est onéreux et deviendra impossible faute de pièces de rechange, doivent être remplacés pour maintenir une couverture aérienne suffisante de notre territoire.

On comprend mieux la situation après avoir entendu le commandant de corps Blattmann, chef de l'armée, qui s'exprimait récemment au Centre Patronal devant un parterre d'industriels. Il a décrit la grande misère de la Grande Muette, qui commence à sortir de son silence pour dénoncer le manque de moyens mis à sa disposition. Le même commandant de corps Blattmann n'a-t-il pas dit à la télévision, il y a peu de temps, que les crédits budgétaires alloués annuellement ne permettaient pas de payer les équipements dont l'achat a déjà été décidé et qui font l'objet d'un crédit d'engagement voté par les Chambres – mais que vaut «l'engagement» d'un parlement?

Voici quelques données chiffrées en provenance du Haut Commandement:

  • les dépenses militaires, qui culminaient à 6 milliards de francs (de l'époque) en 1990, sont tombées à 4,3 milliards. Compte tenu de l'inflation, c'est une diminution de 40%;
  • l'effort de défense, qui représentait 1,8% du produit intérieur brut en 1990, n'en représente plus que 1% environ. Il est inférieur à celui de l'Autriche, dont on plaisantait jadis l'armée d'opérette;
  • les compressions de dépenses par rapport à la planification financière, exigées de l'armée en dix ans au fil des divers programmes d'économies, atteignent un montant cumulé de 3,464 milliards;
  • «Armée XXI» postulait des dépenses annuelles qui, indexées, représenteraient aujourd'hui 4,8 milliards. Il manque un demi-milliard;
  • par voie de conséquence, les dépenses d'exploitation devenant difficilement compressibles au-dessous d'un certain plancher, ce sont les dépenses d'armement qui plongent. Cela alors qu'«Armée XXI» prévoyait que la diminution de l'effectif des soldats serait compensée par un renforcement des moyens techniques.

Il en résulte aussi des sacrifices majeurs dans la préparation militaire: au printemps passé, un exercice d'envergure impliquant une brigade entière devait permettre d'exercer la protection de tous les ouvrages sensibles d'une zone du nord de la Suisse; faute de matériel, il a fallu renoncer à engager un bataillon sur trois… On parle aussi de cours de répétition qui ont mal commencé, le matériel utilisé par la troupe précédemment en service n'ayant pas pu être vérifié à l'intention de la garnison montante; car il n'y a pas de stock!

Certains diront que le tableau est noirci, ou qu'un nécessaire redimensionnement de l'appareil militaire entraîne forcément des réductions importantes de la dépense. Il n'empêche que, pour l'essentiel, les chiffres montrent que l'effort de défense – qui ne représente plus qu'un quart de celui qui est consenti pour les assurances sociales… – se trouve réduit à sa plus simple expression. Si, aux dires du chef de l'armée, il manque déjà aujourd'hui 500 à 700 millions annuels pour remplir le cahier des charges et payer ce qui a été commandé, à plus forte raison doit-on se demander où se procurer les quelque 2 milliards d'un nouvel avion. M. Maurer ne fait donc pas du cinéma en posant publiquement la question. Il vise probablement à créer un électrochoc salutaire.

Le résultat du scrutin du 29 novembre sur les exportations d'armes donne un signal favorable. Il est peu probable en effet qu'une écrasante majorité du peuple se soit laissé impressionner uniquement ou principalement par le risque de perte de quelques milliers d'emplois, si dure que soit cette perspective. La volonté de maintenir la capacité de défense – dont la capacité industrielle est l'une des composantes – a sans doute pesé dans la balance. Dans ces conditions, une volonté politique de ne pas laisser la défense aller à vaul'eau peut s'exprimer sans risque.

Il faut pour cela briser l'alliance maudite de la gauche et de l'UDC, la première cachant mal ses vieux réflexes antimilitaristes derrière des discours fumeux sur l'instauration de la paix par la lutte sociale contre la mondialisation et par le suivi de Rio, la seconde achoppant aux missions de l'armée à l'étranger. Certains veulent que le Conseil fédéral, avant tout engagement financier important, produise le rapport sur la politique de sécurité attendu pour cet automne, et qui tarde à venir. Or ce rapport pourrait bien fournir prétexte à de nouvelles écharpées idéologiques. Il paraîtrait opportun d'en faire l'économie actuellement, aucun fait nouveau majeur n'appelant une révision en profondeur de notre doctrine.

Il convient de trouver un compromis propre à recréer une majorité nette de centre-droite, la seule fiable en la matière comme base parlementaire – des forces d'appoint étant bien sûr bienvenues – d'un renouveau de la politique de défense. Pour cela, l'UDC doit renoncer à exiger la suppression des engagements à l'étranger; cette contribution au maintien de la paix, si illusoire et peut-être dangereuse soit-elle, a été inscrite récemment dans la Constitution; on ne revient pas à bref délai sur un vote du peuple et des cantons; l'UDC qui se targue d'être la vestale de la démocratie directe doit le savoir mieux que d'autres. De son côté, le Conseil fédéral doit limiter au maximum les interventions militaires suisses à l'étranger, dont la vanité n'est plus guère à démontrer, et renoncer à tout investissement y afférent. Le tenace et matois Ueli Maurer doit pouvoir obtenir cela de son parti, ainsi que du Conseil fédéral si M. Burkhalter consent à oublier les idées dans le vent qu'il a parfois exprimées dans une vie antérieure.

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