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Honnêteté intellectuelle

Cédric Cossy
La Nation n° 1877 4 décembre 2009
C’est le 20 novembre dernier qu’Anne-Catherine Lyon et la réformatrice perpétuelle Cilette Cretton ont lancé publiquement l’avant-projet de loi sur la scolarité obligatoire. Présentant ce texte qualifié d’«explosif» par 24 heures, la conseillère d’Etat en charge a défendu une école «qui se veut ambitieuse, adaptée à son temps, inclusive et laboratoire de l’excellence». Le projet présente diverses variantes que la consultation, ouverte jusqu’en mars 2010, devra permettre de préciser. Ce faisant, Mme Lyon a tenu à se présenter comme ouverte au débat sur la question: «Je suis quelqu’un de très honnête intellectuellement et je ne considère pas que l’école est ma chose, elle appartient à tout le monde.»

L’honnêteté intellectuelle autoproclamée deMme Lyon ne nous convainc pas. Voyons pourquoi.

L’affaire doit être reprise à son début. En janvier 2008, l’initiative intitulée Ecole 2010: sauver l’école est déposée à la Chancellerie vaudoise. Le texte propose une révision intégrale de la loi scolaire vaudoise, demandant notamment la suppression des cycles (retour à des degrés annuels), l’emploi des notes dès le début de l’enseignement primaire, une promotion au degré suivant basée sur l’évaluation des connaissances et des compétences acquises et le maintien de trois voies couvrant les trois années de fin de scolarité obligatoire. Le projet insiste sur les spécificités de la voie secondaire «préprofessionnelle», qui doit, plus que la VSO actuelle, préparer les élèves à l’apprentissage d’un métier. De manière résumée, l’esprit de l’initiative est de recentrer le rôle de l’école sur l’acquisition de connaissances et d’améliorer la préparation des élèves aux métiers et à leur apprentissage.

La Constitution vaudoise impose de soumettre une initiative au vote dans les deux ans qui suivent son dépôt. Ce délai peut être prolongé d’une année par le Grand Conseil si le gouvernement décide d’y opposer un contre-projet. Cette prolongation a été obtenue en juin dernier, aux trois quarts du délai pour mise au vote. Avec un contre-projet en consultation jusqu’en mars 2010, on ne votera probablement pas avant l’ultime délai possible, soit à la toute fin 2010, voire en janvier 2011. En jouant la montre, Mme Lyon torpille le libellé même de l’initiative: les initiants voulaient une nouvelle loi applicable pour la rentrée 2010; ce sera au mieux en 2011.

Un contre-projet gouvernemental est en général une version gommant les aspects extrémistes de l’initiative déposée, mais qui va grosso modo dans la direction voulue par ses auteurs. Rien de cela dans le contre-projet de loi scolaire, dont les nouveautés vont parfaitement à contresens des visées d’Ecole 2010: on y prévoit, en 166 articles, une école dans laquelle la fréquentation des onze années du programme scolaire est obligatoire (plus de sortie possible pour raison d’âge), le redoublement est impossible (ou pour le moins limité), le rattrapage est institutionnalisé, mais surtout dans laquelle les voies secondaires sont supprimées au profit d’une voie unique à deux niveaux pour les branches principales (une variante à deux voies, dont l’étude a été demandée par le Grand Conseil, fait aussi partie de la consultation).

Tout oppose donc le projet du contreprojet: les initiants veulent renforcer la préparation à l’apprentissage, alors que le contre-projet garantit mathématiquement l’accès au gymnase à plus de la moitié des élèves (1). Ecole 2010 porte l’accent sur l’acquisition de connaissances et le contrôle de cette acquisition, alors que les penseurs du DFJ veulent surtout socialiser l’élève. Alors que les initiants demandent des classes les plus homogènes possibles en termes de capacité d’apprentissage des élèves, le contre-projet favorise l’hétérogénéité (on parle d’école inclusive) la plus large possible. Si les uns veulent une école subordonnée aux parents en matière d’éducation, les autres accordent à l’institution un rôle éducatif complémentaire, tout en se gardant de préciser l’étendue que peut prendre ce complément. Nous ne voyons pour notre part, dans ce contre-pied systématique, aucune honnêteté intellectuelle vis-à-vis des auteurs de l’initiative.

Enfin, la consultation à tiroirs ouverte le 20 novembre est une approche quelque peu machiavélique pour occuper le terrain au détriment des défenseurs d’Ecole 2010. Dans les prochains mois, le débat va tourner autour des sept variantes concernant la question du redoublement et des quatre variantes concernant l’organisation du degré secondaire. Or, les questions abordées dans ces variantes sont mineures mais risquent de parasiter, voire d’occulter la discussion de fond, qui doit porter sur les conceptions antinomiques que les initiants et le DFJ ont de l’école. Là encore, cette tactique pour noyer le poisson ne nous semble pas le reflet d’une haute probité intellectuelle.

Mais que nous croyions ou pas à l’honnêteté intellectuelle de Mme Lyon n’est en fait pas très important. Serait-elle entièrement honnête dans le débat à venir que cela n’y changerait rien: ses conceptions en matière scolaire sentent suffisamment l’égalitarisme marxiste pour que nous les combattions. La Nation soutiendra Ecole 2010 et combattra le contre-projet. Nous reviendrons sur les aspects majeurs des deux projets dans les mois à venir.


NOTES:

1) Ajoutons que, quelle que soit la variante finalement adoptée pour le secondaire inférieur dans le texte du contre-projet, ce dernier imposera de fait la voie unique au gymnase. On s’acheminera dès lors vers plus de 50% de bacheliers pouvant prétendre à un cursus universitaire.

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