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Faut-il tuer les vaches sacrées?

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1910 11 mars 2011
Le dernier Synode de l’Eglise évangélique réformée du Canton de Vaud est revenu sur sa décision, prise au début des années nonante, de supprimer la confirmation. Il sera donc à nouveau possible de confirmer le jour des Rameaux. C’est une décision heureuse, même si elle pose quelques problèmes. La Nation y reviendra.

On sait qu’une bonne partie de la population a continué jusqu’à aujourd’hui à parler de confirmation et à considérer comme une confirmation complète la cérémonie de bénédiction des catéchumènes qu’on lui avait substituée.

On peut voir dans cette attitude l’expression de ce que les modernes désignent volontiers comme «les forces de résistance au changement», formule polémique qui englobe dans une commune réprobation les oppositions argumentées, les traditions séculaires, les habitudes individuelles, la routine et le refus a priori d’entrée en matière. Cette résistance, ils l’expliquent par la sottise (le peuple n’a pas bien compris les enjeux) ou la négligence (nous avons mal communiqué). Et si le peuple s’obstine à résister, ils recourent sans scrupule à la contrainte. La brutalité stalinienne avec laquelle le Département de l’instruction publique imposa la méthode «Maîtrise du Français» est encore dans les mémoires. On n’a pas pris beaucoup plus de gants pour supprimer la confirmation.

Dans cette affaire, la résistance passive durable des fidèles a fini par avoir raison des autorités ecclésiastiques. C’est dire qu’elle ne relevait pas d’un simple blocage psychologique. Nous y voyons plutôt le refus persistant de ne pas être dépossédés d’une institution profondément enracinée dans la mentalité vaudoise.

La confirmation faisait partie de notre vocabulaire et de notre culture, avec toutes les connotations affectives et morales qui s’y étaient ajoutées au fil du temps. Elle avait sa place dans le déroulement de l’année, dans la formation et la pratique religieuses, ainsi que dans la vie sociale, à titre de rite de passage. Il ne s’agissait pas d’un acte magique, pas non plus d’un acte purement rationnel. C’était un rite, un chemin balisé entre ce monde et l’autre, avec son tracé particulier lié à notre histoire. C’était un chemin parcouru dans les deux sens: il y avait d’abord une intervention de Dieu, qui confirmait la grâce reçue au baptême, ensuite un acte solennel du catéchumène qui, par une réponse personnelle et publique, s’engageait «avec l’aide de Dieu» à s’efforcer de vivre en chrétien. La confirmation était l’aboutissement ordinaire du catéchisme. On procédait en groupe, ce qui facilitait l’engagement d’adolescents souvent rétifs à parler publiquement de leur foi.

C’était un chemin plein de traverses. Tout rite, donnant une forme naturelle à des réalités surnaturelles, est susceptible de couvrir des malentendus plus ou moins volontaires. Dans le cas précis, l’importance grandissante que prenait la confirmation humaine par rapport à la confirmation divine mettait en relief le fait que le rite de confirmation amenait un certain nombre de jeunes à prendre un engagement dont on savait d’emblée qu’ils ne le tiendraient pas. Le problème était réel et l’Eglise se devait de l’empoigner.

Mais elle jugea bon, négligeant cavalièrement l’argumentation religieuse et sociale des opposants, de trancher dans le vif et d’imposer une séparation absolue entre les deux aspects de la confirmation. On alla jusqu’à exclure toute possibilité qu’un catéchumène s’engage le jour des Rameaux. «La confirmation, c’était la vache sacrée des Vaudois», avait commenté un pasteur, fort satisfait de son mot, et d’avoir tué la vache. Et voici que la vache revient, alors que, soit dit en passant, ledit pasteur vient de prendre sa retraite.

Ce retour donne à penser. Un rite ancien n’est pas en soi intouchable, mais il est tout de même une part constitutive des moeurs. Sa suppression est une mutilation. Prétendre le remplacer, d’un coup d’un seul, par un rite conçu abstraitement, même pour de bonnes raisons, même en conformité avec la théologie, c’est ne pas voir la différence de nature entre une simple idée et une réalité incarnée.

Les choses et les êtres évoluent sans cesse, les personnes, les institutions, les situations. Mais les modifications les moins douloureuses et les plus efficaces sont celles qui procèdent en respectant la nature de ce qu’elles modifient, ses finalités, son rythme propre, et qui respectent aussi la nature et le rythme propre de ceux qui sont touchés par ces modifications!

La manière de changer est aussi importante que le changement lui-même. Même si l’on est persuadé d’avoir raison, même si l’on est pressé, il faut éviter de forcer la marche et d’enclencher une modification institutionnelle sans égard aux résistances des personnes. En matière d’institutions, l’argument de l’urgence est toujours un prétexte. Il est capital qu’une réforme obtienne une adhésion de fond de la population plutôt qu’une majorité de circonstance gagnée à l’arraché. Il s’agit là d’une question de morale relevant du respect des personnes et des moeurs. Ce n’est pas seulement vrai pour la confirmation.

Aux autorités de l’Eglise et à celles de l’Etat, constamment mises en demeure de procéder à des changements en profondeur, à des «mutations», nous suggérons une réflexion approfondie sur l’éthique du changement.

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