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Marc Mousson, un grand Vaudois

Alexandre Bonnard
La Nation n° 1973 9 août 2013

Si quelqu’un vous demande de lui citer des noms d’hommes politiques vaudois marquants du XIXe siècle, vous direz:

La Harpe, Muret, Monod, Pidou, Druey, Ruchonnet.

Et Mousson? Silence embarrassé. Pourtant…

Marc Mousson (Morges 1776 – Zurich 1861), fils de pasteur, étudiant en droit à Lausanne et Tübingen, entre en politique et se trouve à 22 ans propulsé, par l’appui de Gleyre, au poste de secrétaire général du Directoire, qui alors siège à Aarau, parvenant ainsi du premier coup au sommet de la hiérarchie administrative fédérale, où il demeura, sans interruption d’un régime à l’autre, irremplaçable, jusqu’en 1830. Il donne sa démission pour des raisons de santé (épuisé).

Il est vrai qu’il ne s’agit pas d’une carrière politique à proprement parler. Mais durant toute sa carrière consacrée avec un dévouement total à la chose publique, sans autre ambition, il a manifesté des qualités exceptionnelles, tant dans la rigueur de l’organisation que par son acuité dans l’analyse des problèmes politiques, nationaux et internationaux. Il a suscité l’administration bien au-delà de nos frontières.

C’est le grand mérite de Georges Andrey, auteur d’une Nouvelle histoire de la Suisse et des Suisses, parue en trois langues en 1985 puis rééditée, ainsi que d’une Histoire de la Suisse pour les Nuls et de Maryse Oeri von Auw, d’avoir ressuscité la mémoire de ce chancelier hors normes, dans un ouvrage paru en 2012 aux éditions Cabédita, sous le titre Marc Mousson – Premier chancelier de la Confédération, préfacé successivement par l’actuelle chancelière Mme Casanova, par Mme Nuria Goritte, ancienne syndique de Morges et conseillère d’État, et par le professeur François Jequier.

Grâce à eux se trouve réparé le long oubli dont a pâti Marc Mousson et qui s’explique par le fait qu’il n’était pas à proprement parler un politique hantant les avant-scènes, mais, dans les coulisses, un homme d’État. Parfaitement bilingue, époux d’une Bernoise, il a bénéficié de la confiance des gouvernements et des parlements qui se sont succédé plus ou moins chaotiquement de 1803 à 1830. Dans leur introduction les auteurs déclarent:

Tous ses contemporains, y compris ses adversaires, ont reconnu les qualités exceptionnelles de Mousson. Parmi eux des Suisses, tant alémaniques que romands, mais aussi des personnages de stature européenne qui ont marqué leur temps: Napoléon, Metternich, le roi de Prusse, le diplomate Capo d’Istria. Ce dernier, représentant du tsar Alexandre Ier en Suisse, est allé jusqu’à voir en lui «un homme de génie».

Certains ont pu supposer que sa décision de prendre sa retraite en 1830, à l’âge de 54 ans seulement, s’expliquait par le fait qu’il ne voulait pas poursuivre sa carrière sous le nouveau régime libéral- radical, alors même que les «Régénérés» parvenus au pouvoir l’auraient sans doute réélu sans problème. Cela se peut, mais les raisons de santé ont probablement été prioritaires. D’autre part, époux heureux et père de trois enfants brillants, il entendait préparer et promouvoir la carrière de ses fils. C’est sur sa proposition que l’aîné, Henri, a été nommé secrétaire d’État de la Diète fédérale (en quelque sorte vice-chancelier); mais ce dernier a démissionné au bout de trois ans déjà, pour motif de conscience, après quoi il est devenu conseiller d’État et bourgmestre cantonal de Zurich. Le cadet est devenu le premier professeur de physique à l’EPFZ, ouverte en 1855. Marc Mousson a laissé une nombreuse descendance, dont une branche américaine.

Parmi ses rares ennemis, on peut citer Frédéric César de La Harpe, qui ne lui avait jamais pardonné d’avoir éventé et fait échouer un complot en 1800 en vue de reprendre le pouvoir après avoir fait mine de s’y associer. En 1832, La Harpe publie un libelle violent intitulé Observations sur l’ouvrage intitulé Précis historique de la Révolution du canton de Vaud (ouvrage de Georges Byde de Seigneux). Plus de trente ans après, La Harpe reproche encore à Mousson d’avoir été à l’époque, trop jeune, manœuvré par des hommes moins capables mais plus rusés que lui. Néanmoins il reconnaît objectivement qu’un tel fonctionnaire a été «un véritable phénomène, une espèce de météore». Mousson ne daigne pas répondre, mais communique ce libelle à son fils en qualifiant La Harpe de «monomane».

Au cours de sa carrière, Mousson a été plus d’une fois le conseiller sinon même le mentor de tel ou tel landammann, participant à ce titre à des conférences internationales. Selon les auteurs:

Certains des diplomates les plus chevronnés en poste à Berne, chargés d’affaires, ministres ou ambassadeurs de France et d’Autriche sont allés jusqu’à écrire qu’en Suisse, le véritable chef de l’État était… le chancelier Mousson! A noter que l’empereur François II l’a décoré de l’Ordre hongrois de Saint- Etienne, qu’il a reçu de la Prusse l’Aigle rouge et qu’il a été nommé bourgeois d’honneur des villes de Berne et de Zurich.

D’une honnêteté bien entendu proverbiale, Mousson n’a pas «fait fortune» durant sa carrière. Ce ne sont ni son traitement, ni sa pension, pourtant confortables pour l’époque, qui lui auraient permis d’acquérir en 1824 la belle propriété «Schlosshald» à Berne puis, avec la revente de cette demeure, de financer partiellement l’achat de l’imposant manoir «zur Schönau», Winkelwiese 10, à Zurich, acheté par son fils Henri en 1841 et où son père et sa mère vécurent jusqu’au décès du père. Marc Mousson a fait des héritages, notamment de la belle maison Grand-Rue 55 à Morges (avec son frère), laquelle vient d’être restaurée (au rez, l’épicerie Dumas). Mais ce n’est pas sur cette maison que la ville de Morges, reconnaissante et pour honorer sa mémoire a apposé solennellement en 2012 «une plaque commémorative… à la Grand-Rue sur la maison où il a fréquemment séjourné» (préface de Mme Gorrite précitée). Du moins, aux toutes dernières nouvelles, le soussigné ne l’y a pas vue…

Dernière anecdote: durant un de ses longs séjours à Morges, à l’époque du décès de son frère (juillet 1847), il a fréquenté à plusieurs reprises les cultes de l’Église libre, qui venait d’être créée. Fervent chrétien et pratiquant, y compris des lectures bibliques en famille, il était à la suite de Vinet partisan de la liberté des cultes. Il est intervenu, avec le diplomate anglais Canning, auprès de Druey (agacé) pour qu’il modère «la persécution des Chrétiens de l’Église libre».

Les auteurs soulignent que Marc Mousson, fervent fédéraliste, est toujours resté profondément attaché à ses deux patries, la Suisse et le Pays de Vaud.

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