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Le vert à moitié vert et le vert à moitié rouge

Le Coin du Ronchon
La Nation n° 2035 8 janvier 2016

Nous avons déjà évoqué ici les différences fondamentales entre un ingénieur du trafic et un individu normal – pas toujours très malin, mais normal. C’était à propos du carrefour des Croisettes, à Epalinges, qui a entretemps retrouvé sa normalité. Nous souhaitons évoquer ici un autre exemple certainement plus coûteux, celui du nouveau carrefour de la Blécherette, qui a été entièrement transformé au mois d’octobre.

On connaissait jusqu’ici les passages- piétons en deux parties, avec des phases vertes différées. On découvre maintenant une nouvelle subtilité: un feu pour vélos qui devient vert pour permettre de passer une première ligne d’arrêt blanche et d’avancer de deux mètres jusqu’à une seconde ligne d’arrêt jaune où un autre feu est cette fois au rouge.

Laissons de côté la grande difficulté des cyclistes à percevoir les lignes et les feux, de quelque couleur que ce soit; considérons seulement que cet aménagement prête à confusion et constitue donc un danger pour n’importe quel usager, même de bonne volonté.

Pourtant, du point de vue de la logique formelle, il n’y a rien à redire: à côté d’un usager U0 qui suit une trajectoire à une seule autorisation A0 exprimée par le feu f[0], un usager U1 est soumis à deux autorisations successives, A1 (feu f[1]) pour dépasser le point p[0] et avancer jusqu’au point p[1], puis A2 (feu f[2]) pour continuer sa route. Le fait que le premier feu soit bien visible et le second dissimulé sur la droite ne s’exprime pas en termes scientifiques, et la conséquence (le risque de confusion) ne concerne donc pas les ingénieurs: informatiquement, c’est inattaquable!

Le problème est que la logique formelle des ingénieurs n’est pas celle de l’usager normal – pas toujours très malin, mais normal. Pour une jeune maman, un artiste de rue, un prof stressé, un chômeur en fin de droits, un fonctionnaire des impôts ou un djihadiste syrien1, un feu vert signifie normalement qu’on peut traverser tout le carrefour.

Il en va de même – mais nous pensons ici à d’autres exemples de grandes villes – pour les trajectoires permettant de traverser un carrefour. Pour un usager normal (pas toujours très malin, mais normal), on va tout droit, ou à droite, ou à gauche. Pour un ingénieur du trafic, la trajectoire t[1] est constituée d’une infinité de points contigus [p0…pn] que l’usager U0 va naturellement calculer à la vitesse d’un processeur en tenant compte des signaux s[0] à s[14] et des obstacles w[0] à w[193], ainsi que des indications peintes sur la route en blanc, en jaune, en orange, en bleu clair, en olive écrasée, en kaki, en ocre, en pourpre, selon un code-couleur propre à chaque catégorie d’usagers. Le résultat ressemble au plateau d’un jeu de stratégie réservé à des individus présentant un quotient intellectuel d’au moins 180, avec interdiction de tourner à gauche mais obligation de contourner par la gauche un obstacle que personne n’aurait jamais eu l’idée de placer à droite, puis d’effectuer un léger contour sur la droite pour prendre la deuxième rue mais en aucun cas la première ni la troisième, le tout en évitant les rails du tram. Ou pas.

Si un quidam émet un doute sur la pertinence de tout ce chenit, les ingénieurs lui répondront que tout est basé sur des études très savantes et des calculs très complexes, inaccessibles à quelqu’un qui n’est pas du métier.

Toujours est-il que, deux mois après la transformation du carrefour de la Blécherette, la plupart des mini-feux tout neufs qui prêtaient à confusion ont été recouverts de bâches en plastique noir. Il faut croire que l’appréciation du quidam n’était pas totalement fausse.

1 Ce dernier sera également sensible au fait que le vert constitue la couleur de l’islam.

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