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Conseil suisse des religions

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1741 17 septembre 2004
L'Express de Neuchâtel du 21 août dernier annonçait la création prochaine d'un Conseil suisse des religions: «Chrétiens, juifs et musulmans veulent intervenir d'une seule voix lorsque lois et religions s'opposent. Ils comptent aussi sauvegarder les valeurs occidentales à travers l'enseignement religieux.» Après une rencontre informelle durant l'été, les «cinq chefs de file des Eglises nationales et des communautés juives et musulmanes» ont décidé de se voir régulièrement. Ils fixeront leur mandat au début du mois d'octobre. Les thèmes sur lesquels ils entendent intervenir sont notamment l'écologie, la justice sociale et l'éthique médicale.

La volonté de coexister pacifiquement est respectable. Il n'en reste pas moins que chacune de ces religions s'affirme comme la seule vraie. N'occultons pas ce fait principal en utilisant des formules unifiantes ambiguës comme «les religions du livre», ou «les religions monothéistes»! La Bible n'est pas le Coran qui n'est pas la Torah. Quand les chrétiens lisent l'Ancien Testament, ils le lisent dans l'optique du Nouveau. Pour les musulmans, la religion chrétienne est un polythéisme. Le Christ qui est le centre de la foi des chrétiens est un objet de scandale pour les juifs croyants. L'Eglise se dit «le nouvel Israël», à quoi Jules Isaac répond (1): «(...) saisit-on bien toute la gravité d'une telle revendication? Elle équivalait à bien pis que diffamer le peuple juif: à tenter de lui dérober l'étincelle de vie, le feu sacré, et l'on peut bien dire son âme même.» Ces oppositions théologiques ont suscité au cours des siècles des affrontements sociaux et politiques d'une grande violence.

Pourquoi vouloir parler «d'une seule voix» alors que les trois religions sont incompatibles sur tant de points fondamentaux? Les prises de position du Conseil sont condamnées à rester à la périphérie de l'essentiel. Et même alors, on n'évitera pas les équivoques. En matière d'écologie et d'abattage rituel, en matière de «valeurs occidentales» et de port du voile, en matière d'enseignement non seulement de la religion, mais aussi de l'histoire et même des sciences, les éventuels accords seront entachés d'arrière-pensées, de calculs et de non-dits.

La réalité est que les trois religions ne cherchent pas la même chose ni avec la même énergie dans ce Conseil. Les 330'000 musulmans vivant en Suisse forment pour l'heure une masse non structurée (cent vingt organisations et huitante centres ethniques) de croyants et de non-croyants individuels. Selon M.Farhad Afshar, président de la Coordination des organisations islamiques suisses, «l'application de la liberté religieuse ancrée dans la Constitution ne devrait pas être déléguée aux collectivités cantonales et communales».Les exigences de cet «expert» (c'est L'Express qui le nomme ainsi), son mépris pour la réalité complexe du fédéralisme suisse et pour les compétences cantonales en matière de relations entre l'Eglise et l'Etat sont lourds de signification.

Pour les musulmans, la participation à ce Conseil sur pied d'égalité avec les représentants des autres religions leur vaut le statut de communauté religieuse, premier pas vers l'acquisition d'une reconnaissance officielle.

Pour le président de la Fédération suisse des communautés israélites, M.Alfred Donath, cette réunion des trois religions offre l'occasion de réduire les tensions et les peurs qui ternissent leurs relations, peut-être aussi d'influencer l'enseignement scolaire.

Et pour les chrétiens ?

Les catholiques sont prudents. Mgr Amédée Grab a d'ores et déjà posé comme condition de participation que la structure du Conseil soit acceptée par l'Eglise romaine. C'est une sérieuse réserve. Dans tous les cas, cette opération restera une affaire marginale pour les catholiques.

Pour les protestants, il en va différemment. Depuis longtemps, les Eglises réformées cantonales et leurs statuts historiques sont contestés au profit d'un système centralisé réputé plus efficace et moins conservateur. On se rappelle la publication en 1962 de l'ouvrage du pasteur bâlois Lukas Vischer (2) demandant la création d'une Eglise protestante suisse, puis, en 1983, l'émergence du «Synode protestant suisse». Si on ajoute à cela les propositions toutes récentes de M.Gottfried Locher, cadre de la FEPS, en vue de créer un poste d'évêque des protestants suisses (3), il saute aux yeux que la mise sur pied de ce Conseil est pour la FEPS, instigatrice de toute l'affaire par son président Thomas Wipf, l'occasion rêvée d'une nouvelle tentative de prise de pouvoir.


NOTES

1) «Genèse de l'antisémitisme», p.147, Agora, Calmann-Lévy, 1956.
2) «La Fédération des Eglises protestantes de la Suisse, Fédération ou Eglise?».
3) 24 heures du 31 août 2004.

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