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Le nouveau régime vert

Jacques Perrin
La Nation n° 2146 10 avril 2020

Les jeunes Vaudois de la Grève du Climat, mouvement lancé par Greta Thunberg, ont élaboré un document de 37 pages intitulé Visions, objectifs, principes et mesures pour un climat, des écosystèmes et un futur réellement durables. Il est rédigé en écriture inclusive (changer le monde pour tou.te.s; valoriser le travail des agriculteurs.trices particulièrement celleux engagé.e.s pour le climat ; conversion des animaux de ferme en collaborateurs.trices…). La Grève du Climat Vaud se love dans une vague planétaire. La Terre est menacée dans son existence même par des maux tels que le réchauffement climatique, le rabougrissement de la biodiversité, l’exploitation disproportionnée de ressources limitées, et plus généralement par le choix d’un genre de vie incompatible avec ce que peut offrir une planète finie, lieu de vie obligé pour les humains.

Les pages 3 à 25 énumèrent les mesures destinées à éviter une catastrophe dans un cadre vaudois. Nous y reviendrons. Les pages 26 à 37 se haussent à l’échelon suisse, avec une perspective planétaire.

Principes et objectifs 

L’existence d’une crise environnementale est indubitable pour les jeunes activistes qui se fient aux résultats obtenus par les savants du GIEC. Avec l’aide de chercheurs, ils ont établi un plan et passé à l’action.

L’objectif est quasi militaire. Les jeunes souhaitent aligner les politiciens, l’administration et la population sur un même front, les constituer en une sorte d’armée climatique, pour opérer une transition immédiate vers une vie sociale heureuse et libre.

Les valeurs fondatrices de l’action sont: la liberté, l’égalité et la solidarité, auxquelles s’ajoutent la justice (climatique), la non-violence, l’ouverture, la transparence, et la frugalité. Il s’agit de respecter les limites planétaires, de garantir le bien-être à long terme et la résilience de l’humanité : la planète est comme un objet métallique qui reprend forme après avoir subi des chocs. L’humanité résiliente cherche les moyens de se rétablir après s’être infligée à elle-même des mauvais traitements.

L’opération à mener ne consiste pas à additionner les actes sains ou les conversions individuelles à la sobriété et au partage. Le combat sera collectif. L’Etat (vaudois ou suisse) montrera l’exemple. Il peut seul modifier les comportements par des lois, agir de manière transversale et systémique, autrement dit accomplir des missions qui n’atteindront leur but que si on les conduit simultanément dans des domaines divers. Le système économique récupère trop facilement les individus, l’industrie transforme trop vite les produits de leur créativité en marchandises. Le niveau d’action pertinent est celui de l’Etat.

Les activistes pour le climat se disent démocrates, mais signalent certains défauts de la démocratie. Celle-ci étant mondialisée et soumise aux impératifs économiques, ce sont les lobbies qui décident aux dépens du bien commun politique et de l’environnement. Pour complaire aux lobbies qui les soutiennent, les parlementaires, une fois élus ne tiennent pas leurs promesses. Référendums et initiatives sont réservés aux riches, car ils exigent de grands moyens financiers. La paix du travail encadre trop le droit de grève. Il est très difficile de révoquer les élus et les magistrats nuisibles.

Néanmoins, la Grève du Climat loue la démocratie directe et reconnaît l’autonomie des cantons, lesquelles, mobilisées en vue de l’objectif, permettent une citoyenneté active. Il est question d’une modernisation héroïque de nos institutions afin de rendre le pouvoir confisqué à la société civile par les multinationales et l’économie globalisée.

La Suisse (0,5% de la population mondiale, mais 3 à 4% des émissions de gaz à effet de serre) a un devoir d’exemplarité. Les multinationales et la place financière émettent 83% des gaz à effet de serre (1’100’000’000 d’équivalents CO2). 8,5% résultent des importations et 8% de ce qui est produit en Suisse, dont 4%  d’émissions domestiques par les transports, le bâtiment, l’industrie et l’agriculture.  La place financière et les multinationales devront assumer leur responsabilité en premier, avant la société civile et les individus.

Mesures

La première partie du document énumère 111 mesures à prendre dans le Pays de Vaud. Elles concernent dix domaines: l’économie (17 mesures), l’agriculture et la nourriture (25), le territoire et la mobilité, les milieux naturels, l’énergie, l’exemplarité de L’Etat (15), la santé, l’eau, les dangers naturels, le recyclage.

Nous n’en mentionnons que quelques-unes.

–  l’économie du Canton sera décarbonée totalement en 2030; la publicité pour la surconsommation et les activités climaticides sera interdite; on créera un fonds souverain pour financer la transition écologique, qu’alimenteront une taxe-climat, des investissements publics et des particuliers sous forme de crowdfunding; les investissements dans les énergies fossiles et les produits financiers climaticides seront taxés, de même que les entreprises en fonction de leur impact sur l’environnement; une caisse d’assurance maladie cantonale sera créée; la désinformation concernant les faits scientifiquement prouvés sera pénalisée; un revenu de transition écologique (à ne pas confondre avec le revenu de base inconditionnel) sera versé aux personnes perdant un emploi en voie d’automatisation et cherchant à s’engager professionnellement pour la transition écologique; les métiers pro-climat et les commerces de proximité seront subventionnés.

–  On visera à une consommation alimentaire 100% locale (fruits, légumes, un minimum de viande); les méthodes d’agriculture régénératrice, pratiquées selon le principe de l’économie sociale et solidaire (ESS), seront massivement soutenues; la taxe-climat sera perçue sur les produits hors-saison, les importations agricoles, la viande et les produits d’origine animale, le cacao, le café; la restauration offrira essentiellement des menus végétariens et véganes; on préparera un plan d’urgence en cas de pénurie alimentaire.

–  On se déplacera à pied, à vélo, avec les transports publics décarbonés, le moins possible avec des véhicules privés thermiques; le 100% des voies de mobilité douce sera séparé des routes; les transports publics seront gratuits pour tous.

–  On privilégiera la densification de l’habitat en ville, on mettra fin au mitage du territoire.

–  On sauvegardera les milieux naturels sanctuaires de biodiversité et on en créera d’autres; les pesticides seront interdits au 1.8.2021.

–  On diminuera de 50% la consommation d’énergie totale du Canton d’ici à 2030; On visera à 100% d’énergies renouvelables massivement subventionnées.

–  L’Etat montrera la voie et satisfera les attentes des générations futures; le climat sera le facteur prépondérant dans toute décision; on mettra en place un service civil climat chargé de transformer le Canton en un lieu de vie durable; le service civil climat pourra être accompli à la place du service militaire.

–  On réduira la consommation de médicaments de 50% d’ici à 2030; on soignera les maux nouveaux comme le stress pré-traumatique et les dépressions dues à l’inaction gouvernementale; on limitera les décès dus à la crise climatique.

–  On diminuera la consommation d’eau de 50% d’ici à 2030.

–  On visera le zéro déchet. On réutilisera, compostera, recyclera, partagera; on amendera le littering.

Evaluation

La Grève du Climat ne cède pas à la mode du bio-régionalisme. Ses mesures ne s’appliquent pas à n’importe quelle localité, bassin-versant ou zone à défendre (ZAD), mais à un vrai pays politiquement et historiquement constitué. Le bien commun vaudois est mentionné. L’agriculture vaudoise devra nourrir la population.

Le fédéralisme, la souveraineté des cantons et la démocratie directe semblent, à première vue, admis. Les difficultés écologiques liées à la mondialisation sont soulignées.

En dépit de ces points positifs, le projet nous apparaît maximaliste.  Le climat étant le facteur prépondérant dans toute décision, le plan des jeunes peut vite tourner à une paradoxale  monomanie transversale. Le poids de l’Etat est énorme. Celui-ci s’occupe de tout, assisté par une garde de volontaires verts. Il agit en multipliant les lois (avec l’idée sous-jacente que la loi modifie automatiquement les comportements), en encaissant des taxes et en arrosant les bonnes pratiques de subventions. Que coûteront les transports publics gratuits, le service civil climat et la caisse maladie cantonale? Que deviendront, dans le cadre d’une économie sociale (pour ne pas dire socialiste) et solidaire le droit de propriété et les domaines agricoles familiaux menés par des agriculteurs indépendants? Aurons-nous affaire, sous couvert de soins à apporter à la nature et aux personnes agressées par la crise climatique, à une psychiatrisation des rapports humains, et, sous prétexte de frugalité, à l’imposition en douce d’un mode de vie végane, féministe et antispéciste?

Il faut faire la part de l’extrême jeunesse des activistes. Ils ne se doutent pas de la lenteur propre à la démocratie semi-directe et ignorent peut-être que des agriculteurs, des vignerons et des entrepreneurs locaux ont commencé à corriger leurs pratiques.

Il est probable que le mouvement, si l’Etat de Vaud ne satisfait pas ses revendications, cherchera à exercer des pressions à un échelon plus élevé, confédéral, européen ou mondial, à moins qu’il ne se rebelle pour de bon (afin d’éviter l’extinction…) et se tourne vers la désobéissance civile et la violence.

La réforme ne se fera plus par le bas, mais tombera d’en haut. Cela ne nous séduira plus du tout.

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