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Occident express 55

David Laufer
La Nation n° 2146 10 avril 2020

Les années passant, je constate que j’ai perdu une bonne part, non seulement de mes certitudes, mais aussi de ma compréhension du monde tel que j’avais appris à le connaître. Le monde de 2020 me semble en effet distinct de celui de 1995 à un point tel que j’ai parfois l’impression d’être né sur une autre planète. Avoir déménagé en Serbie m’a offert pendant quelques années une forme de répit intellectuel, une occasion de revoir le film pour enfin tenter de le comprendre. Car ici les mécanismes de la mondialisation ne se sont mis en branle que bien plus tard. La Serbie que j’ai découverte en y arrivant n’était somme toute pas si différente de la Suisse de mon enfance, toutes considérations économiques mises à part. Ce fut un luxe extraordinaire de pouvoir ainsi observer, jour après jour, l’excitante, rapide et éreintante mutation d’un pays tout entier du XXe siècle national vers le XXIe siècle globalisé. Je fais usage du passé car – semble-t-il? – nous sommes en train de basculer vers un monde tout à fait nouveau. La pandémie en cours fait sur son passage toutes sortes de victimes – des êtres humains hélas, mais aussi des certitudes, des plans, des projets, des idéaux. Toutes les impressions et les informations que j’avais patiemment glanées et collées dans ces chroniques, comme elles semblent distantes désormais, archéologiques dans leur éloignement et leur innocuité. Qu’en sera-t-il du monde de demain? La Serbie va-t-elle retomber là où je l’avais découverte en 2001, lorsqu’elle m’avait conquis totalement en quelques heures seulement? Et même si, ou même quand le monde se relèvera comme je le souhaite, même si alors nous faisons tous et toutes comme si de rien n’était, comment ne pas être à jamais imprégné par cette conscience de notre infinie fragilité? Ainsi, jamais plus qu’aujourd’hui, je ne trouve autant de réconfort, d’énergie et de sens que dans la beauté, celle que produisent les hommes dans les arts comme dans celle de la nature. C’est comme si Pollock ou Turner n’avaient peint que pour ces moments-là, comme si Debussy ou Allegri n’avaient composé que pour nous, aujourd’hui. Je trouve plus de sens, au milieu de cette confusion globalisée, dans une aquarelle de Paul Klee, dans le chant des merles à 5h du matin, dans le poème le plus concis de Bukowski, dans le plus court des moments musicaux de Schubert, que dans tout ce que les médias sont censés m’apprendre. Je sais, et au fond de moi j’espère, que nous reviendrons plus tôt que tard à des sujets frivoles et banals, mais en attendant ce jour j’aime redécouvrir que l’amour seul compte. 

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