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Théologie folle

Jacques Perrin
La Nation n° 2150 5 juin 2020

La maladie et la mort se sont rappelées à notre attention. Comme beaucoup de penseurs et d’artistes des temps passés, Blaise Pascal a souffert de maux divers, mourant en 1662 à 39 ans. Dans les années 1650, il adresse une prière à Dieu, afin que celui-ci l’aide à faire bon usage des maladies.

La prière de celui que Chateaubriand appela «l’effrayant génie» nous jette elle-même dans l’effroi.

Pour Pascal, la Chute a rendu la nature totalement mauvaise et l’humanité haïssable. Seul Dieu, parfait et éternel, est aimable. Le monde ne subsiste que pour exercer les élus et punir les pécheurs.

L’homme est sujet au changement; Dieu seul est durable et miséricordieux. La maladie est un effet de sa miséricorde. Pascal pense que, s’il est tombé malade, c’est parce que Dieu le punit d’avoir mal usé de la santé. Au lieu d’adorer Dieu, de se consacrer à son service, il a fréquenté les libertins, joui des plaisirs mondains, s’est soumis à de trompeuses idoles, comme la géométrie, la logique et le commerce, inventant une machine à calculer, mettant sur pied le premier système de transports publics parisiens (les carrosses à cinq sols).

Désormais son corps affaibli par la maladie lui interdira les plaisirs et le rapprochera du seul objet digne de jouissance, Dieu.

Le cœur de Pascal est tellement endurci que rien ne suffit à le convertir: ni vos Ecritures, ni votre Evangile, ni le sacrifice de votre corps, dit-il en s’adressant au Seigneur. L’assistance de la grâce divine est indispensable: C’est Dieu même que je demande et que je cherche.

Certes, l’image de Dieu s’est empreinte dans son cœur lors du baptême, mais la vie mondaine l’a effacée, elle n’est plus reconnaissable; il faut que Dieu recrée l’âme de Pascal. L’affaire est difficile. Le philosophe ne peut qu’irriter l’Eternel, car ses mouvements naturels le portent vers les créatures et son moi, non vers le Créateur. Peut-être les maux du corps le pousseront-ils à confesser les maux de l’âme et à se repentir. Certes, il n’a pas commis de grands crimes, mais il a toujours été contraire à Dieu, par sa négligence, son oisiveté, l’inutilité totale de toutes ses actions, ayant gaspillé à des bêtises le temps donné pour adorer Dieu. Malheureux ceux qui jouissent d’une fortune avantageuse, d’une réputation glorieuse et d’une santé robuste si tout cela leur a permis de s’abandonner aux délices de la vie au lieu de servir Dieu ! Seules les souffrances nous rapprochent du Christ: Ô mon Sauveur qui avez aimé vos souffrances en la mort ! Ô Dieu qui ne vous êtes fait homme que pour souffrir plus qu’aucun homme pour le salut des hommes […] aimez mes souffrances, Seigneur, que mes maux vous invitent à me visiter […] et qu’ainsi je souffre avec vous, comme vous, et dans mon corps, et dans mon âme, pour les péchés que j’ai commis. Les douleurs sont le prix de la grâce qui conduira à la béatitude.

Pascal demande à Dieu de pouvoir recevoir dans une uniformité d’esprit toujours égale toute sorte d’événement, notamment les maladies. Après, je ne sais lequel est le meilleur ou le pire en toutes choses. Je ne sais lequel m’est profitable de la santé ou de la maladie, des biens ou de la pauvreté, ni de toutes les choses du monde. C’est un discernement qui passe la force des hommes et des anges, et qui est caché dans les secrets de votre providence que j’adore et que je ne veux pas approfondir, ajoute-t-il.

L’acceptation totale unit le croyant à Dieu: Vivez et souffrez en moi ce qui reste à souffrir de votre Passion […] et qu’ainsi ayant quelque petite part à vos souffrances, vous me remplissiez entièrement de la gloire qu’elles vous ont acquise, dans laquelle vous vivez avec le Père et le Saint-Esprit, par tous les siècles des siècles.

Dans une lettre à sa sœur Gilberte et au mari de celle-ci, Pascal écrit qu’il est normal que la mort soit horrible pour les païens, détestable, l’horreur de la nature, parce qu’ils n’espèrent pas dans le Royaume. En Jésus-Christ, la mort est aimable, sainte, joie du fidèle.

Depuis le péché d’Adam, l’amour pour soi-même est resté seul dans l’âme de l’homme qui était pourtant capable d’un amour infini. Le corps et l’âme sont ennemis l’un de l’autre, et tous deux de Dieu: L’horreur de la mort est naturelle en l’état d’innocence ; il est juste de la haïr quand elle finit une vie pure […] mais il est juste de l’aimer quand elle sépare une âme sainte d’un corps impur, qu’elle ôte au corps la capacité de pécher […] punissant un corps coupable et purgeant un corps vicieux […] Que l’excès de notre douleur soit la mesure de notre joie !

Dans la Genèse, Dieu juge ce qu’Il crée comme bon. Le péché d’Adam rend-il soudain la Création absolument mauvaise? Dieu se serait-Il trompé? C’est difficile à croire. Lors du Déluge, Il préserve Noé et deux exemplaires de chacune de ses créatures; Il renouvelle son Alliance. Puis Il envoie son Fils unique pour racheter les pécheurs. Les créatures peuvent s’amender.

Selon Pascal, le monde et la vie ne valent plus rien. La maladie, la souffrance et la mort sont aimables comme effets de la grâce divine qui permet aux âmes de quelques élus de surmonter la corruption totale.

Pascal ne se veut-il pas plus dur que Dieu lui-même? Sa logique imparable ne frise-t-elle pas la folie? A partir de la prémisse erronée d’une corruption absolue, le logicien déduit que la vie ici-bas est haïssable, que les humains sont détestables, que les plaisirs et les joies du monde sont condamnables, puisqu’elles nous éloignent du vrai Bien. La Création où l’image de Dieu s’est effacée ne préfigure aucunement le Royaume. A quoi bon vivre?

Pascal ne se fie-t-il pas encore trop exclusivement au calcul des probabilités, faisant de Dieu l’objet d’un pari, misant sur Lui? N’invente-t-il le principe gagnant-gagnant, le plus mondain qui soit?

Le janséniste Pascal admire saint Augustin derrière lequel se dissimule Platon et sa conception dualiste du monde. Les idées sont les vraies réalités consistantes, accessibles à quelques philosophes d’élite. Le réel sensible, celui des prisonniers de la Caverne, ne mérite que mépris.

Pour retrouver un peu d’équilibre, de sérénité et de joie terrestre, il vaut mieux, passant par Aristote, se tourner vers saint Thomas d’Aquin.

Référence:

   Blaise Pascal: « Bienheureux ceux qui pleurent » Prière pour demander à Dieu le bon usage des maladies, Bayard, 2004 (bonne présentation de l’écrivain François Taillandier)

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