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Couvrez cette usine que je ne saurais voir!

Samuel Thétaz
La Nation n° 2150 5 juin 2020

«Il n’y a pas de désindustrialisation», titrait en 2011 M. Guillaume Nicoulaud de manière provocatoire sur le site d’information d’obédience libérale Contrepoints. Selon lui, «l’extrême dangerosité du nationalisme économique» amenait à devoir contester «cette fameuse désindustrialisation dont on nous rebat les oreilles depuis quelques années»1. Persévérant, il revint à la charge en 2016 dans un autre article du même acabit, par lequel il soutenait lors d’une réindustrialisation: «Dans le meilleur des cas, nous ne récupérerons qu’une infime fraction des emplois chinois au prix d’une hausse des coûts de la vie qui ne manquera pas de se répercuter sur d’autres secteurs de l’économie.»2

Les récentes pénuries de biens essentiels liées à la crise sanitaire nous amènent à devoir constater la candeur d’un tel raisonnement, soutenu par l’idée que la nation serait une notion dépassée et réservée aux tenants de la «dangerosité du nationalisme économique». La dépendance de notre pays à l’industrie étrangère, en premier lieu à celle de la Chine, et non seulement dans une situation de crise, doit conduire à repenser la nécessité de redévelopper et de revaloriser le secteur secondaire en Suisse.

C’est peu dire que l’industrie est le parent pauvre de notre économie depuis une quarantaine d’années. Délocalisations, dévalorisation de l’apprentissage, mauvaise perception du secteur industriel, multiplication des complications administratives au nom de principes écologistes, tout concourt à ce que notre pays devienne un territoire presque exclusivement désindustrialisé dans lequel chacun, ou presque, pourra «télétravailler». Une génération de travailleurs tertiaires, dont le seul horizon est l’ordinateur, remplace peu à peu celle des ouvriers, à l’exception des intervenants de la construction, difficilement délocalisable.

Un exemple symptomatique et catastrophique est la fermeture de la raffinerie Tamoil de Collombey. Les autorités communales et cantonales avaient alors, par un acharnement continu – et, il est vrai, soutenu par une frange de la population minoritaire mais vindicative – férocement combattu la raffinerie des années durant, lui déclarant une véritable guerre administrative et médiatique en raison de ses rejets polluants. Cette usine était, outre un fleuron technique et industriel, un employeur très important du Chablais et figurait au palmarès de la réussite de notre pays qui parvenait, avec la raffinerie de Cressier, à traiter une matière première dont il ne recèle pas une goutte. A la tête des protestataires, M. Yannick Buttet, en sa qualité de Président de la Commune, avait alors déclaré: «Nous avons le sentiment que Tamoil teste les autorités. On peut discuter des délais, mais la société propriétaire devra s’adapter. Et je doute qu’elle veuille s’en aller : elle a investi près d’un milliard ces dernières années.»3 Ce fut le même homme qui, immédiatement après, lorsque les dirigeants de Tamoil, dépités et désappointés par le traitement qui leur était réservé, eurent décidé de fermer avec effet immédiat l’oléoduc du Rhône, se scandalisa de sa fermeture. S’étant prétendu offusqué, il passa autant que faire se peut sous silence la responsabilité des politiques dans cette catastrophe industrielle et sociale qui provoqua la perte de 238 emplois et laissa un immense site exsangue.

C’est précisément le paradigme inverse qu’il sied d’adopter. Les autorités politiques et administratives doivent aborder le secteur industriel et ses responsables avec respect. Cela passe par des échanges de vues plutôt que par des sommations, par des expertises concertées plutôt que par des enquêtes exclusivement menées par des fonctionnaires et par des règles adaptées au regard de l’aménagement du territoire et des constructions. En la matière, la longueur des procédures est intolérable par rapport à la temporalité des besoins auxquels les entreprises doivent faire face et les règlements, parfois trop directifs et disproportionnés. Le gel des zones d’activité industrielle dans certaines régions, induit par les difficultés de mise en œuvre de la nouvelle Loi fédérale sur l’aménagement du territoire, provoque des situations ubuesques, et sans aucun doute le découragement d’industriels dans la recherche d’un terrain pour s’implanter ou s’agrandir.

Enfin, la revalorisation de l’apprentissage doit revenir au cœur des préoccupations de la formation, afin de permettre à la fois à notre jeunesse de trouver des emplois pérennes et créateurs de richesses et à l’économie du secteur secondaire de pourvoir aux postes nécessaires à son développement.

Il n’est pas admissible, ni heureux, que nous nous déchargions de nos besoins industriels sur les pays étrangers. Ce faisant, nous devenons dépendants de ceux-ci, occasionnant des risques pour notre approvisionnement, voire pour la santé publique. Par là même, tout en nous prévalant de notre exemplarité en matière de protection de l’environnement, de droit du travail et de protection sociale, nous donnons à certains régimes un blanc-seing dans ces domaines, ouvrant la porte à des abus.

Il nous faut accepter de payer certains biens plus cher que ceux produits à l’étranger en violation de nos propres standards nationaux, quitte à en consommer moins, et cesser de cacher ces usines que nous ne saurions voir.

Notes:

1    «Il n’y a pas de désindustrialisation», Contrepoints du 29 mars 2011

2    «Relocaliser pour éviter la désindustrialisation: la fausse bonne idée», Contrepoints du 8 avril 2016

3    Le Temps du 3 février 2013

 

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