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Là-haut

Benoît de Mestral
La Nation n° 2207 12 août 2022

Quatorze jours à la montagne:
deux conférences par jour,
quatre heures par nuit.

Fél. M.

 

Valeyres est fait de paradoxes. Hors du monde, hors du temps, mais aussi puissamment enraciné et toujours actuel. Valeyres jouit d’un isolement géographique remarquable; la longue montée au Plan des Isles impose de se délester de tous les soucis de la plaine, et la solitude goûtée durant l’ascension préfigure la douce autarcie qui s’installe une fois le gîte atteint. Il ne s’agit toutefois pas d’un couvent: on n’y trouve pas de pure contemplation, mais le travail des champs, des forêts, le bonheur primordial de l’ouvrage accompli. A l’extrémité du territoire cantonal, avec pour seul contact externe un employé de la commune, on se sent curieusement plus proche des Vaudois qu’un jour de marché à la place de la Riponne.

De la diane à l’office du soir, le programme est minuté, pratiquement inchangé depuis le premier Valeyres, et il n’est pas un instant d’éveil qui ne soit voué à la prière, au travail physique, ou à l’échange d’idées. Le travail est intense, les conférences sont prenantes, les marches et leurs discussions captivantes; chaque journée est si pleine qu’elle paraît interminable, et passe pourtant en un clin d’œil. Déjà le premier jour, toutes les affaires en suspens sont oubliées, et après une semaine la vie «d’en bas» n’est qu’un souvenir embrumé. Le journal n’est pas livré à Valeyres, il n’y a pas de radio et le temps manque pour consulter Internet. Les problèmes les plus actuels sont toutefois au centre de l’attention, et si certaines conférences portent sur des sujets plus légers, les discussions tournent deux semaines durant autour de la neutralité, de la guerre, du wokisme, du souvenir d’armées étrangères en terres vaudoises. Seuls ensemble, suspendus hors de leurs vies, absorbés par la structure de cette vie en communauté, les membres de l’équipe de cette année, nouveaux et moins nouveaux, sont rejoints ponctuellement par leurs prédécesseurs; pour un, deux, ou dix jours, rien ne sépare Valeyres 1945 et Valeyres 2022. Alors que le soleil est couché depuis longtemps, aux débats impétueux que l’on ne peut avoir qu’à vingt ans se joignent des voix adultes, quinquagénaires, septuagénaires, nonagénaires, avec plus d’expérience mais pas moins d’énergie.

Valeyres a toujours été insaisissable. Des lettres et articles des premières années révèlent déjà combien il est malaisé de décrire l’expérience. Il ne s’agit pas d’un cours, en l’absence de maîtres et d’élèves; ni d’un camp, le but n’étant pas de débarrasser les parents de leurs marmots durant l’été; un séminaire, presque, lorsqu’une année est dédiée à la mise au point d’une doctrine, mais l’enseignement fait toujours défaut. On pourrait être tenté d’ajouter «retraite» à cette liste, tant l’éloignement du quotidien est revigorant pour l’intellect. Cela ne colle pas non plus, puisqu’on ne trouve à Valeyres ni repos ni solitude, mais travail en communauté. Il faut donc se résoudre à n’employer qu’un toponyme, qui – et c’est tout à fait typique – ne désigne pas même le lieu où Valeyres vit, mais celui où il naquit.

Cette drôle de nature, qui rend l’expérience de Valeyres si particulière, et sa description si ardue, s’étend presque à tous ses aspects. Nous nous éloignons et nous nous isolons, pour nous recentrer sur le Pays et nous rapprocher de sa population; nous n’allons plus à Valeyres mais nous allons toujours à Valeyres; l’équipe change chaque année mais l’esprit est immuable. Le paradoxe touche même la doctrine politique: à haute voix, nous dissertions de l’évolution de la neutralité suisse, de l’effondrement des mœurs, de l’instruction publique et de l’engagement associatif; en silence, unanimement, nous avons décidé que le communisme était le système approprié pour régir l’approvisionnement en dentifrice.

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