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Le pessimisme, ennemi de la clairvoyance

Jacques Perrin
La Nation n° 2207 12 août 2022

L’optimisme et le pessimisme, dispositions d’esprit opposées, relèvent du tempérament de chacun, non de l’intelligence. L’optimiste voit le bon côté des choses tandis que le pessimiste estime que tout va très mal et que le pire est certain.

L’optimisme caractérise l’homme d’action. Un entrepreneur ne ferait rien s’il n’espérait la réussite de son affaire. A moins qu’il ne livre une bataille pour l’honneur, un général pense qu’il vaincra.

Le pessimiste, lui, est plutôt contemplatif et conservateur. Il vise à préserver ce qu’il a, car l’aventure n’apporterait que des déconvenues.

Le ministre François Guizot disait: Le monde appartient aux optimistes, les pessimistes ne sont que des spectateurs.

La lucidité – voir et comprendre les événements avec clarté et justesse – n’est pas donnée à tout le monde, ce qui fait dire à Georges Bernanos que le pessimiste et l’optimiste s’accordent à ne pas voir les choses telles qu’elles sont. L’optimiste est un imbécile heureux, le pessimiste un imbécile malheureux. Quant à Paul Valéry, il laisse entendre que le pessimiste et l’optimiste ne s’opposent que sur ce qui n’est pas.

Attardons-nous sur Paul Valéry, esprit lucide.

En 1927, il écrit un essai sur Stendhal, Henri Beyle de son vrai nom. Beyle n’était pas à proprement parler un pessimiste. Il recherchait l’amour, le plaisir, le bonheur. Il se servait de l’expression anglaise happy few qui désigne la petite caste des gens heureux à laquelle il voulait appartenir. Attaché comme Rousseau à la sincérité, il ne la trouvait nulle part. Selon Valéry, ses soupçons, ses mépris ne se bornent pas à noter de charlatanisme toute la politique et presque toute la littérature de son temps. Les savants ne sont pas épargnés. Ses ambitions étaient: Vivre. Plaire. Aimer. Etre aimé. Ecrire. N’être pas dupe. Etre soi – et pourtant parvenir. Comment se faire lire? Et comment vivre, méprisant et détestant tous les partis? Stendhal affirmait que dans tous les partis, plus un homme a d’esprit, moins il est de son parti.

Mais c’est le clergé qui, selon Valéry, était pour Beyle un excitant de prédilection […]. Beyle avait de fâcheux souvenirs de pieuses gens dont il vit son enfance ennuyée. Aussi détestait-il tous les prêtres. On ne trouve dans son œuvre que trois ecclésiastiques qui ne manquent de foi ni d’esprit. Sinon la question est vite résolue. Un prêtre est forcément bête et crédule, à moins qu’il ne soit intelligent et hypocrite, si plein de malice qu’il simule la foi. Valéry est importuné par cette haine systématique. La noirceur de Balzac le dérange aussi: Balzac assemble autour de soi […] tous ceux que leur métier fait observateurs et chercheurs d’infamies et de choses honteuses, le confesseur, le médecin, le juge et l’homme de police, tous préposés à déceler, à définir, et, en quelque sorte, à administrer l’ordure sociale. Parfois quand je lis Balzac, j’ai la vision seconde et comme latérale d’une vaste et vivante salle d’Opéra […] Un noir Monsieur, fort noir, fort seul, contemple, et lit les cœurs de cette foule luxueuse […]. Il ne voit çà et là que des maux, il voit l’adultère, la dette, les avortements, la syphilis et les cancers, la sottise et les appétits.

Des sombres descriptions de Stendhal ou Balzac, Valéry pense la même chose: Si profond que puisse être un pareil regard, il est, à mon gré, trop simple et systématique. Toutes les fois que nous accusons et que nous jugeons, le fond n’est pas atteint. Une couche morale et affective de l’âme, constituée d’expériences négatives, contraint le pessimiste à choisir les faits qui confortent ses aversions, et à ne pas voir le reste. C’est une erreur évidente, écrit Valéry, quoique fort répandue, que de prétendre résoudre par de purs raisonnements des problèmes (en l’occurrence celui de la nocivité du clergé, réd.) dont les éléments ne se peuvent énumérer ni définir […]. C’est à l’observation de trancher quand il s’agit de choses réelles. Qu’il soit possible qu’il y ait des prêtres véritables et riches d’esprit, mon expérience m’en assure. J’en connais, et il me suffit. Je ne dis pas que je me l’explique; je dis que l’opinion de Stendhal n’a tenu qu’à cet accident qu’il n’en a point connu qui fussent comme les miens […]. La plupart de ceux qui se flattent d’être connaisseurs du cœur humain ne séparent point la clairvoyance dont ils se piquent d’une disposition défavorable à l’égard des hommes. Ils ont la lèvre amère ou ironique. Rien, il est vrai, ne donne l’air psychologue comme l’attitude habituelle de déprécier. Voir clair, c’est voir noir, selon cette convention parfois assez commode.

Valéry aimait Stendhal, mais il est sévère avec lui. Il le sent partagé entre son envie de gloire littéraire et la volupté d’être soi-même, l’orgueil de ne dépendre que de soi. Paradoxalement, Beyle finissait par jouer à être soi. Il falsifiait le réel à force de vouloir faire vrai: Suprêmement sensible à l’hypocrisie, il flaire à cent lieues, dans l’espace social, la simulation et dissimulation. Sa foi dans le mensonge universel était ferme et presque constitutionnelle.

Du petit essai de Valéry, nous tirons la leçon politique que le patriote conservateur, accablé d’informations peu réjouissantes, doit tenir en laisse son tempérament porté à la dénonciation d’une décadence générale. Sa clairvoyance sur les affaires de son pays s’en trouvera renforcée.

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