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Pour un nouveau Portrait des Vaudois

Félicien MonnierEditorial
La Nation n° 2209 9 septembre 2022

Le Portrait des Vaudois de Jacques Chessex date de 1968. Le Canton sortait à peine du XIXe1. Sa population, majoritairement rurale, était la moitié de celle d’aujourd’hui. L’Université n’était pas «démocratisée» et se trouvait à la Cité. Les deux Eglises venaient à peine de fusionner. L’autoroute Lausanne-Genève avait quatre ans. L’identité de la majorité des protagonistes évoqués dans l’ouvrage est désormais inconnue à nos contemporains, du pasteur Bovon à Me André Manuel – notre ancien rédacteur auquel Chessex consacre un chapitre2.

Il y a peu, l’un de nos amis traversa le Grand-Chêne (sans regarder) pour me soumettre cette idée: susciter la rédaction d’une nouvelle version du Portrait. Il ne saurait s’agir d’une simple mise à jour ou d’adjonctions de chapitres.

Cette nouvelle version ne saurait être folklorisante. On ne demandera pas à Vaud Tourisme – encore moins au Patrimoine mondial de l’UNESCO – de la financer. Pas plus qu’en 1968, ce ne sera une vaudoiserie, l’une de ces gaudrioles de caveau pour député radical ou socialiste. En revanche, on pourra parler de ces Vaudois aimant tant se moquer d’eux-mêmes sans le savoir, à coups de citations de Gilles et de Ouin-Ouin.

Elle pourrait commencer par raconter les nouveaux rites collectifs qui jalonnent autant l’année que la vie des Vaudois. On évoquerait les expéditions adolescentes au camping du Paléo festival, les mondanités urbaines des trentenaires au Festival de la Cité, puis les anciennes stars religieusement réécoutées au Montreux-Jazz. On tentera de comprendre pourquoi les habitants de ce petit pays adulent les événements monstres.

Ce nouveau Portrait se pencherait sur les rites individuels. Parmi eux le brunch du dimanche, en couple dans un restaurant au mobilier suédois, ou en famille dans le tea-room cossu d’un bourg de campagne. Après les samedis à IKEA, destinés à meubler la nouvelle collocation, il décrirait les pendaisons de crémaillères, destinées à inaugurer lesdits meubles. Il s’arrêterait sur les vins apportés par les invités: entre ceux qui s’obligent à apporter du Vaudois, ceux qui s’y refusent, et ceux qui apportent un vulgaire pack de bière industrielle.

Se dessinerait, évidemment, une foule de profils sociologiques. On parlerait notamment du «villardou», notre homme de la montagne, moitié prof de ski, moitié agent immobilier. Le livre évoquerait la dynamique «fille des jeunesses», reconnaissable à son T-Shirt orange, siglé: «Giron du Pied 2025 à Pampigny???». Apparaîtraient quelques «grands-parents pour le climat». On raillerait le moralisme de ces babas, nourris de théologie de la libération et de rapports du GIEC.

Il faudrait parler de l’accent de ces personnes. Après avoir dressé le constat de quasi-décès du «parler pointu» de la BSL3, on remarquerait l’émergence de sa nouvelle version, plutôt féminine et littéraire. Cette sorte d’accent français mâtiné de ralentissements vaudois s’entend notamment au marché à la Palud.

L’urbanisme et l’architecture pourraient avoir leur chapitre. Cela permettrait de décrire les passions que déchaîne dans les petites communes le Règlement sur le plan général d’affectation et la police des constructions. L’exercice de l’autonomie communale apprend au Vaudois une foule de termes techniques: hauteur au faîte, distance aux limites, zone réservée. On parlerait de la villa, du locatif, de l’éco-quartier.

Sans transition, on passera de l’aménagement du territoire aux acquisitions immobilières: «J’ai un taux bloqué à la Raiffeisen d’Yvonand.» Aborder ces thèmes, c’est traiter le rapport à l’espace et au temps, à cheval entre aspiration légitime à la propriété, et orgueil d’imprimer sa marque.

La description des grandes étapes de la vie montrera combien l’Eglise a été éclipsée des baptêmes que l’on ne vit plus, des cérémonies laïques de mariage, des enterrements «dans l’intimité». Mais il faudra décrire ce qu’il reste du vieux fond calviniste si cher à Chessex. On sondera les gouffres de la culpabilité et de l’ardeur au travail, les reliquats de paysannerie dans des esprits pourtant urbanisés depuis trois générations. On parlera, parmi tant d’autres sujets, des consultations chez le psy, des expertises de la protection de la jeunesse et des médiateurs scolaires.

Reste à trouver un auteur. Reconnaissons que certains ont déjà fait une part du travail. Pour ceux de ma génération, ce sont essentiellement des humoristes: les deux Vincent, Kuchol et Veillon, avec toute leur œuvre; Nathanaël Rochat avec sa mythique chronique sur le bobo lausannois; Blaise Bersinger avec son sketch sur la Protection civile. Mais on reste souvent au stade du descriptif, essentiellement de profils sociaux, un peu de structures mentales.

Il faudra aller plus à fond, constater ce que sont aujourd’hui les mœurs vaudoises, dans leurs expressions, fussent-elles diverses, comme dans leurs soubassements et leurs influences. Il faudra la méticulosité du sociologue, et le talent narratif du romancier. Qui se propose?

Notes:

1   C’est à tout le moins l’avis de Me Claude Reymond, dans son Plan-fixe accordé à Bertil Galland le 11 juin 1999.

2   «Portrait d’un homme de loi», in Portrait des Vaudois, CRV n°70, p. 199.

3   Bonne Société Lausannoise.

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