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Dépolitiser vraiment

Félicien MonnierEditorial
La Nation n° 2217 30 décembre 2022

Le passage du Conseil de la magistrature devant le Grand Conseil au printemps avait déjà suscité pas mal de remous. Sur fond de «lex Cottier», la cheffe du groupe socialiste chargea dans le Blick le Procureur général et son bilan1, qui saisit à son tour le Grand Conseil pour «atteinte à la séparation des pouvoirs»2. Un ancien bâtonnier communiqua publiquement son opposition au projet3.

Le 25 septembre dernier, le peuple vaudois acceptait cette nouvelle institution. Elle remplacerait désormais les nombreuses commissions, chambres et bureaux en charge de surveiller la justice vaudoise et de désigner ses magistrats. La Ligue vaudoise avait recommandé d’accepter le projet, avec l’intuition qu’il était perfectible4. Elle en a aujourd’hui la confirmation.

Neuf membres composent le Conseil de la magistrature, tous élus par le Grand Conseil. Aux côtés de représentants du Ministère public et des tribunaux doivent siéger deux avocats, soit un ancien bâtonnier (président de l’Ordre des avocats vaudois) et un avocat chevronné. Selon la loi, c’est la Commission de présentation (du Grand Conseil) qui propose l’ancien bâtonnier et l’avocat. Elle ne peut cependant pas proposer plus de candidat qu’il n’y a de sièges. L’idée de base est bien que le Grand Conseil enregistre, par élection, ce que la Commission lui propose.

A son tour, le Conseil de la magistrature évaluera les connaissances juridiques des candidats juges cantonaux. Il préavisera leur élection à l’intention du Grand Conseil. Les députés de la Commission de présentation ne se chargeront plus que de l’évaluation politique, censée garantir un équilibre des forces au sein du Tribunal cantonal.

L’objectif de la réforme était de dépolitiser, soit de soustraire chacune de ces deux étapes à l’influence des partis. «Autant que possible», promettait Christelle Luisier en juin 2021.

Jeudi 15 décembre, le Grand Conseil élisait les membres du Conseil de la magistrature et leurs suppléants. L’«enregistrement» des deux représentants du Barreau ne put avoir lieu. Les députés PLR tentèrent d’imposer leur candidat contre la personne proposée par la Commission5. Personne n’obtint donc de majorité. Nous ne pouvons que supposer les motifs de ce «coup de force raté». Dans tous les cas, le principe «un siège, un nom présenté» ne fut d’aucun effet. Ecartée par la grande porte en votation populaire, la politisation partisane fracassa la fenêtre pour revenir.

La semaine suivante, les députés assermentèrent un Conseil de la magistrature incomplet. Au 1er janvier, une institution vaudoise ne sera pas valablement constituée. C’est plus que navrant et prouve que les «coups de force» ne faisaient pas partie du concept.

Et la faute n’est pas à l’opposition entre la gauche et la droite. En cas de persistance du système actuel, chaque nouvelle majorité voudra, de législature en législature, placer le maximum de ses poulains au maximum de postes. Les coups de force tels que celui d’il y a deux semaines, ratés ou non, se reproduiront.

Une dépolitisation effective du Conseil de la magistrature ne peut passer que par la dépossession du Parlement. En d’autres termes, les choix du Barreau et de la magistrature doivent s’imposer au Grand Conseil. L’organe de désignation des deux avocats devrait être l’Assemblée générale de l’Ordre des avocats vaudois. Elle notifierait au Bureau du Grand Conseil l’identité des membres désignés, et de leur suppléant.

Mesure antidémocratique et corporatiste, diront certains. Là n’est pas la question. La dimension corporative du Conseil de la magistrature est consubstantielle à sa mission et s’exprime dans sa composition. Beaucoup reconnaîtront qu’elle est légalement assumée. Quant à la légitimité de ses membres, elle leur vient de leur représentativité réelle, du fait qu’ils sont vraiment issus de la profession dont on attend qu’ils portent la voix, et qui les a désignés. Toute autre source de légitimité serait moindre, sinon fictive.

Notes:

1   Jaccoud Jessica, «Du balai et du sang neuf», in Blick du 27 janvier 2022.

2   Krafft Camille, «Le procureur général vaudois saisit le Grand Conseil», in Le Temps du 1er février 2022.

3   Me Christophe Piguet interviewé par Renaud Bournoud dans 24 heures du 10 mai 2022.

4   Monnier Félicien «Surveiller la justice», in La Nation du 12 août 2022.

5   Bournoud Renaud, «L’élection du Conseil de la magistrature part dans le décor» in 24 heures, du 16 décembre 2022.

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