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Le président devrait toujours parler ainsi

Jean-Blaise Rochat
La Nation n° 2240 17 novembre 2023

Le 30 octobre dernier, Emmanuel Macron inaugurait la Cité internationale de la langue française dans le château restauré de Villers-Cotterêts. Pour mémoire, on rappelle que c’est en ce lieu que François 1er a promulgué la célèbre ordonnance juridique de 1539 qui consacre «le langaige maternel francoys» comme seule langue administrative dans l’ensemble du royaume. Jamais abrogée, elle est donc toujours en vigueur.

Le président de la République a épaté beaucoup de monde par un discours fédérateur d’une heure qui sonnait comme une véritable déclaration d’amour à la langue française. Il a su jouer avec virtuosité de son charme personnel et des ressources de sa voix au timbre chaleureux. A plusieurs reprises, il a quitté son texte rédigé pour improviser avec aisance, ce qui accentuait l’effet de sincérité de ses propos. Certes, l’exercice n’était guère périlleux face à un public composé essentiellement d’officiels, d’amis et d’académiciens.

Enivré par son pouvoir de séduction, il fut parfois un peu long et servit quelques lieux communs sur la liberté et l’universalisme, sur l’unification du royaume par la langue, etc. Mais il aborda avec détermination des sujets d’actualité et lança une offensive contre le langage inclusif: «Le masculin est le neutre. On n’a pas besoin d’ajouter des points au milieu des mots.» (Applaudissements nourris.) Pour lutter contre l’illettrisme, il souligna «l’importance de l’orthographe, de la dictée, de la lecture à voix haute et des concours d’éloquence». Très loin du Macron cassant, arrogant, injurieux de certaines interventions maladroites, on se plaisait à retrouver l’orateur inspiré et serein des funérailles de Jean d’Ormesson. Le président devrait toujours parler ainsi.

Alors, Emmanuel Macron restaurateur du français urbi et orbi? Hélas, si on prend en compte ses actions, ses décisions, ses prises de position dans le monde, le bilan est globalement catastrophique. Les exemples sont nombreux: lors des événements internationaux, le président français préfère souvent s’exprimer dans un anglais de banquier, même hors du monde anglo-saxon. Pourquoi saluer Poutine d’un «good evening, mister President»? Oublie-t-il qu’il est de fait le représentant de 320 millions de francophones dans le monde?

Dans les relations européennes, Macron se comporte en diligent fossoyeur du français: lors de la création en octobre 2021 d’un Parquet européen, il a été décidé, avec l’appui du président français, que la seule langue de travail serait l’anglais. Et pour faire bon poids, dans la foulée, le français a été écarté de la Cours des comptes de l’Union européenne. Le Brexit était une occasion rêvée de redonner au français sa position au sein de l’Europe. Or la correspondance entre les Etats, – même entre Etats francophones! – se fait de plus en plus dans une langue désormais étrangère à l’Union, si l’on excepte la République d’Irlande. Pourtant trois des membres sont francophones. Macron se comporte systématiquement en soutien actif et persévérant de cette éradication forcée du français.

Les événements internationaux qui se déroulent en France sont affichés en anglais: «One Ocean Summit», «One Forest Summit». Le site gouvernemental «Make our Planet great again» est resté sans traduction pendant huit mois! Le président brésilien Lula fait un discours en portugais sous la tour Eiffel, traduit seulement en anglais. Les organismes publics utilisent fréquemment des appellations anglaises, comme La Poste et sa banque en ligne ridiculement intitulée «ma french bank». L’Afrique francophone n’est pas épargnée par ces désolantes souillures: «Meet Africa», «Africa creative», «Digital challenge». Et le slogan de l’Agence française de développement: «Let’s start together – The Party!» L’Algérie, le Maroc et quelques Etats de l’Afrique subsaharienne ont enregistré le message et s’apprêtent à larguer le français.

A Villers-Cotterêts, Emmanuel Macron, le président du «en même temps», s’est livré à un éblouissant numéro théâtral dans l’accueillante cour d’un musée interactif. Demain il inaugurera une volière en déclarant son amour des oiseaux et son admiration pour les ornithologues, afin de faire oublier qu’il adore tirer les aigles et les gypaètes.

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