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L’Eglise face au régime politique

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1800 22 décembre 2006
Dans le numéro de Bonne Nouvelle de décembre-janvier, le pasteur Nicolas Charrière traite la question de l’implication de l’Eglise dans les affaires politiques, en allusion discrète au vote récent sur la loi sur l’asile. Il met en relief la double exigence pour l’Eglise de ne pas diviser les chrétiens et de ne pas se retirer du monde. Il reprend à son compte l’idée que «la prédication du pasteur n’est pas là pour soutenir un parti politique, et il ne doit pas user de sa posture publique pour proclamer ses options politiques. Le pasteur est le pasteur de tous, pas seulement de ceux avec lesquels il est en accord. […] Tout chrétien est membre de l’Eglise, qu’il soit radical, libéral, socialiste, UDC, écologiste, etc.» Mais en même temps, on ne peut séparer complètement le temporel du spirituel : «Si le politique touche au bienêtre de la collectivité, à l’ordre de la justice, s’il fournit à tous les hommes des possibilités d’épanouissement personnel et s’il contribue au maintien de la paix et de la coopération entre les nations, alors le rapport avec les préoccupations de l’Eglise est évident.»

M. Charrière propose que l’Eglise prenne position sur les affaires publiques, sans toutefois donner de consignes de vote, simplement pour inciter les fidèles à la réflexion. Mais, dans la mesure où ils accordent une certaine autorité à l’Eglise, les fidèles recevront nécessairement sa prise de position comme une consigne de vote et par conséquent comme une occasion de division. La proposition de M. Charrière vaut pour autant que l’Eglise ne se considère plus que comme un animateur, parmi d’autres, des débats de société.

Nous proposons trois «pistes», comme on dit au catéchisme, toujours dans la perspective de la loi sur l’asile, tant il est certain que le peuple aura encore l’occasion de se prononcer sur ce thème.

Tout d’abord, c’est une erreur pour l’Eglise que d’intervenir principalement au moment où la campagne de vote bat son plein. Le gros du travail se fait bien avant, au moment de la conception, quand les passions ne sont pas encore échauffées et que les arguments peuvent encore être reçus. C’est à ce moment que l’Eglise peut s’approcher de ceux qui préparent la loi pour faire valoir les éléments religieux qui sont en jeu, pour rappeler l’importance morale et sociale du regroupement familial, par exemple, ou le fait qu’une personne qui habite depuis dix ans chez nous n’est plus tout à fait étrangère, quel que soit son statut juridique. Si ses représentants sont persuasifs et arrivent à orienter la loi dans ce sens, l’Eglise accomplit un travail – oserais-je dire de lobbying? – qui est à la fois politique et chrétien. C’est sans doute un rôle peu spectaculaire, mais c’est le plus conforme au rôle de levain dans la pâte que le Christ lui a donné.

Durant la campagne proprement dite, c’est la deuxième piste que nous suggérons, l’Eglise et en particulier les pasteurs ont un rôle capital de pondérateur. C’est un moment pénible où toute position est a priori considérée par l’autre côté comme entachée de mensonge et de perfidie. Il revient à l’Eglise de dénoncer les passions malsaines dont l’affrontement remplace peu à peu le débat de fond. Il lui faut répéter aux partisans d’un durcissement de la loi sur l’asile qu’ils ne doivent pas voter par haine de l’étranger, qu’ils sont parfois tentés de voir à la source de tous nos maux. La haine n’est pas un état d’esprit évangélique, ni d’ailleurs un état d’esprit politique.

A l’inverse, on rappellera aux opposants à un durcissement qu’ils nous jouent à bon compte la scène du pharisien et du péager ; que c’est à juste titre que leurs adversaires craignent de voir se dissoudre un héritage culturel – et, depuis quelques temps, religieux – dont les générations actuelles ont la responsabilité. On leur montrera aussi que le précepte de charité change radicalement de nature lorsqu’il est imposé par une contrainte personnelle ou par la loi. Enfin, on dira et redira aux uns et aux autres que les autres et les uns ne sont pas forcément des menteurs ou des salauds. Ce faisant, l’Eglise contribuera à diluer le poison des passions idéologiques et à rapprocher les membres de la communauté politique.

Enfin, l’Eglise ne peut pas faire l’impasse sur la question de ses relations ambiguës avec le régime démocratique. On éprouve souvent le sentiment qu’elle le considère comme l’expression politique du message évangélique. Dans le même numéro de Bonne Nouvelle, on parle de la Déclaration universelle des droits de l’homme comme d’un «écrit fondateur ». Les chrétiens ont déjà leur «écrit fondateur» et la Déclaration n’y ajoute rien.

La démocratie moderne présente cette caractéristique qu’en théorie, rien n’échappe à son emprise. Il suffit qu’une décision soit prise conformément aux procédures prévues pour qu’elle ait force de loi, plus, pour qu’elle ait force de vérité. De fait, le pouvoir étatique empiète sans cesse plus avant dans ce qui était autrefois de la responsabilité exclusive des personnes et des communautés intermédiaires. Ce pouvoir illimité pèse aussi sur l’Eglise, ses oeuvres, ses prérogatives et sa vie interne. On s’en rend malaisément compte parce que le discours démocratique est une sorte de décalque laïque du discours évangélique. Fascinée par cette similitude, l’Eglise d’aujourd’hui est fortement tentée de se rendre à la religion toute terrestre du Progrès, inspirée par le Décalogue de 1948 sous la houlette de la Providence étatique. Il y a là aussi du pain sur la planche pour quiconque s’intéresse aux relations entre l’Eglise et la politique.

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  • Le siècle d’or de la musique au Pays de Vaud – La page littéraire, Jean-Jacques Rapin
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