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Une occasion de remettre en cause l’évolution de la médecine

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1806 16 mars 2007
Ce qui est central en matière médicale, c’est la relation personnelle durable que le malade entretient avec son médecin. La durée engendre la confiance réciproque. Elle rend possible, au-delà de telle intervention particulière, la prise en charge du patient dans sa totalité physique et psychique. Les conseils et prescriptions sont ainsi adaptés à sa personnalité et à sa situation. C’est dans cette perspective que le médecin envoie son patient auprès de l’un ou l’autre spécialiste, recueillant ses diagnostics et ses avis et les incorporant à la vision d’ensemble. C’est dire que la qualité des soins dépend pour une part importante de la qualité de la relation. Là se trouve la raison d’être du principe du libre choix du médecin par le patient, auquel s’ajoute le principe complémentaire du libre choix du traitement par le médecin.

La nature particulière de cette relation inégale impose au médecin des obligations professionnelles et morales. La première codification de ces obligations est due à Hippocrate, né au Ve siècle avant Jésus-Christ. Aujourd’hui encore, son serment inspire dans leurs grandes lignes les codes de conduite des médecins: le respect des maîtres et la transmission du savoir, la priorité des soins au malade sur toute considération financière ou politique, le respect de la vie – ni poison, ni avortement –, la conscience du médecin des limites de ses connaissances et capacités, la garantie du secret.

Le système des honoraires est représentatif de cet état d’esprit, qui établit la note en composant trois éléments, les compétences du médecin, l’importance du service rendu et la capacité financière du patient. Le troisième élément permet une solidarité à la source, où les honoraires plus élevés versés par la personne aisée permettent au médecin de soigner gratuitement une personne démunie.

Charge au patient de diminuer les risques de maladie par un comportement sain et d’assumer ses petits bobos sans mettre la machine médicale en route. Charge encore à lui de s’assurer pour d’éventuelles dépenses de santé que son revenu et sa fortune ne lui permettraient pas d’assumer. Charge aux associations professionnelles de faire respecter la déontologie, le cas échéant de dénoncer les praticiens indignes. Charge aux sociétés d’assurance de garantir une couverture suffisante, mais réduite aux charges médicales insupportables pour l’assuré. Charge à l’Etat, enfin, d’interdire la pratique aux charlatans et d’ordonner des mesures sanitaires générales en cas d’épidémie.

Divers facteurs propres à la modernité réduisent l’influence de ces principes sur la pratique médicale. Les progrès techniques multiplient les possibilités d’interventions, engendrant de nouveaux désirs qui se transforment en besoins puis en droits. Les honoraires des médecins ne sont plus la partie principale des coûts généraux de la santé. Leur effet péréquatif est réduit d’autant. Le besoin en médecins et en hôpitaux ne cesse de croître. Les coûts s’élèvent et semblent devoir continuer à s’élever, phénomène aggravé par le fait que nous devenons tout à la fois plus délicats et plus exigeants. Enfin, beaucoup de nos contemporains pensent que la mort est la fin de tout, ce qui donne une valeur presque absolue à leur vie terrestre et conséquemment aux actes médicaux qui la prolongent.

Il existe aujourd’hui des interventions si lourdes et coûteuses que pratiquement personne ne peut les assumer. En même temps, le principe d’égalité, fondement de la modernité, postule que chacun doit pouvoir bénéficier de l’entier de l’offre médicale. Cela fait passer le rôle des assurances au premier plan. La gestion des sommes colossales de la «politique de la santé» prend le pas sur les autres considérations. Les primes ne suffisant plus, une partie importante des frais est couverte par les impôts.

Présentée comme une simple opération de solidarité financière, l’introduction de l’assurance-maladie obligatoire fut une double révolution. On se rendit peu à peu compte qu’elle conférait aux caisses un rôle directeur dans leurs relations avec les assurés et avec le corps médical. De plus, elle incitait – c’était au fond normal puisqu’il y avait une obligation générale – les pouvoirs publics à intervenir à tous les niveaux de la santé.

Le système des honoraires fit place à une rémunération par points: chaque acte médical correspond à un certain nombre de points et chaque point vaut un certain montant. Un tel système privilégie les actes techniques par rapport aux actes intellectuels et à l’aspect relationnel de la médecine. D’une certaine façon, la prise en compte de ces éléments est rétablie par Tarmed, mais ce nouveau système de tarification médicale n’en a pas moins aggravé le côté épicier de cette comptabilité.

Le contrôle des coûts par les caisses-maladies déborde forcément sur les prescriptions, on le voit avec les pressions exercées sur les médecins, les patients et les pharmaciens en faveur des médicaments génériques. Pour l’avenir, elles entendent supprimer l’obligation qui leur est faite de rembourser les notes d’honoraires de tous les médecins (on dit «suppression de l’obligation de contracter», en langue de bois des assureurs). Ce serait porter une atteinte mortelle aux principes du libre choix du médecin et du libre choix du traitement.

La caisse unique était dans la droite ligne de cette évolution générale qui conduit à la disparition de la médecine libérale au profit de la médecine des comptables et des bureaucrates. L’ampleur du rejet de cette initiative par le peuple et les cantons met en cause non seulement ladite initiative, mais toute l’évolution dont elle était, provisoirement, la dernière étape.

Les politiciens ne peuvent donc se contenter de bricoler une formule qui arrondirait les angles. Ils ne peuvent se contenter non plus de suivre les assurances dans leur volonté de choisir les médecins remboursables, comme plusieurs partis en ont déjà annoncé l’intention. En bonne logique, il leur faudrait remettre en question toute l’évolution des dernières années et jusqu’à la légitimité même de l’assurance obligatoire. Nous doutons qu’ils en aient la force. A tout le moins, ils pourraient limiter le catalogue des prestations de l’assurance obligatoire aux traitements les plus lourds et les plus coûteux, rétablissant ainsi une concurrence portant non seulement sur les primes, mais aussi sur l’offre des différentes caisses.

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