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Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1814 6 juillet 2007
En matière de drogue, c’est devenu une convention que de parler de l’«échec du modèle répressif». La formule n’en est pas moins trompeuse, car la politique dite «des trois piliers», encore plus ou moins pratiquée aujourd’hui dans le Canton de Vaud, n’est pas seulement répressive, mais aussi préventive et curative. On oublie souvent qu’un pourcentage non négligeable de toxicomanes pris en charge dans des institutions orientées sur l’abstinence arrivent à s’en sortir. Il est vrai que c’est une opération lourde, longue et sans garantie: sevrage douloureux, réhabilitation physique et psychique interminable, réinsertion sociale problématique. Les échecs sont fréquents, et les réussites parfois précaires. Est-il justifié pour autant de parler d’un «échec» en général? Autant parler de l’«échec du modèle hospitalier» sous prétexte que des malades meurent à l’hôpital. Chaque réussite thérapeutique, chaque toxicomane qui s’arrache à son esclavage est une bataille gagnée, là est l’essentiel.

Notre situation à l’égard de la drogue est celle d’une impuissance relative. Cette impuissance ne tient pas au «modèle répressif», mais à la fragilité physique et psychique des toxicomanes, à leur corps traversé de besoins irrépressibles, à leur volonté défaillante. Et il en sera toujours ainsi, quel que soit le «modèle» choisi.

Ce constat d’impuissance relative n’est satisfaisant pour personne. Mais il est insupportable pour ceux qui pensent que le mal résulte d’un simple déficit d’organisation sociale et qu’on peut y répondre par une action sociale volontariste et systématique de l’Etat. C’est dans cette perspective optimiste d’une situation totalement maîtrisée qu’est née l’idée du shootoir (1).

Mais, quelle maîtrise? Ne pouvant contraindre les toxicomanes à respecter la loi, on a pris le parti de tordre la loi pour faire une place à la toxicomanie: ne pas supprimer l’interdit, mais l’incorporer au règlement, organiser l’illégal plutôt que de le combattre. «L’accès au local ne sera pas surveillé par des policiers afin d’éviter de les mettre dans une situation incompatible avec leur devoir», déclare la conseillère communale Solange Peters (2), avouant ainsi qu’il s’agit bien de créer une zone d’illégalité officielle. «Illégalité officielle»: l’Etat veut jouer ici, simultanément, deux rôles contradictoires.

Et si l’on examinait les résultats du «modèle non répressif» proposé par nos savants chimistes? Ils ont commencé par se montrer cool avec les dealers et les consommateurs, pour les apprivoiser et leur montrer qu’on ne les rejetait pas. Ratage absolu. Ensuite, ils ont inventé l’échange de seringues usagées contre des seringues stériles, dans le but d’éviter de trouver des seringues sales dans tous les coins. Résultats insignifiants. Ils ont continué avec la distribution de seringues par paquets, sans plus se soucier, d’ailleurs, de la récupération des seringues usagées, ce qui montre la futilité de leur argumentation quand ils invoquent l’ordre dans les rues et la protection du public pour justifier leurs projets. Puis on plaça des automates à seringues, évacuant du même coup la médiation humaine entre la société et le consommateur. Aujourd’hui, ils proposent aux Lausannois de créer un local d’injection et d’inhalation ouvert sept heures par jour… en attendant plus. En parallèle, ils prévoient la création de laboratoires mobiles pour l’analyse gratuite des drogues consommées dans les manifestations «festives»: ruinez votre corps et votre intelligence, mais avec du bon! Autre projet encore, la distribution de matériel gratuit pour la consommation de cocaïne dans les boîtes de nuit. Un nouveau pas significatif, puisque, dans ce cas, la «maîtrise» passe par l’incitation! Certains – ultra-libéraux ou gauchistes – préconisent la dépénalisation générale. D’autres, ou les mêmes, proposent la distribution gratuite de cocaïne, après celle d’héroïne, en attendant sans doute que les hôpitaux soient sommés de créer des services d’«accueil à bas seuil d’exigence»! Les partisans de la nonrépression sont ainsi condamnés, pour conserver une illusion de maîtrise, à reculer interminablement devant la drogue qui avance. Echec total, contreperformance absolue du «modèle non répressif»!

Ça ne les empêche pas de continuer à réciter le credo baba de la non-répression. Mme Peters affirme qu’«on éduquera les consommateurs pour qu’ils récupèrent le matériel souillé». Cette pionnade est typique de l’aveuglement idéologique. On sait parfaitement que ce n’est pas possible, mais on fait comme si. Comme si le fait de consommer «sanitairement» pouvait d’une quelconque façon induire le consommateur à changer de comportement. Comme si sa conscience n’était pas altérée par la drogue et qu’il suffisait de changer les conditions extérieures de la consommation pour qu’il puisse se reprendre. Comme si on ne savait pas que la drogue, comme l’alcoolisme, engendre chez le consommateur une représentation déformée – centrée sur lui seul – de la réalité et une échelle des valeurs étalonnée en fonction exclusive de la satisfaction immédiate de ses besoins, quitte à y sacrifier son corps et son âme. Le «matériel souillé» de Mme Peters est bien le dernier de ses soucis.

S’en sortir? L’impulsion initiale ne peut venir que du toxicomane lui-même. Sans ce premier mouvement spontané, toute aide est illusoire: il y faut un restant de liberté, un jugement brièvement lucide sur soi-même, une distance peutêtre infime prise par rapport à la prochaine dose. La petite flamme de la volonté peut alors naître et grandir. Cette prémisse d’une reconquête intérieure est fragile. Elle a besoin de soutien. Et la réprobation unanime et sans équivoque de la société, par ses autorités, magistrats, législateurs, policiers, juges, est un soutien majeur.

Il se volatilise si, en parallèle, le même Etat prétend également gérer la consommation en cultivant l’inacceptable équivoque de l’illégal légal. Dans le comportement pavlovien du drogué, la création d’un local où il peut officiellement consommer sa drogue signifie que la société légitime sa toxicomanie. Alors, à quoi bon se torturer pour s’en sortir?

L’apparente sollicitude de la Municipalité conduit le toxicomane à une exclusion bien plus définitive que la répression. Elle l’enferme dans sa dépendance plus profondément que dans un cachot. «Vous qui entrez ici… sachez que nous n’espérons plus rien de vous», voilà le message qu’il faudra inscrire au-dessus de la porte ouverte du shootoir lausannois.


NOTES:

1) Nous rappelons à nos lecteurs l’article très complet de M. Jean-Philippe Chenaux, «Un local d’injection à Lausanne? Dix bonnes raisons de voter “non”!», dans La Nation N° 1812 du 8 juin 2007.

2) 24 heures du 25 juin.

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