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Ecole vaudoise: une initiative qui vient à son heure

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1821 12 octobre 2007
Le syndicat d’enseignants AVEC (1) et l’association de parents ASPICS (2), rejoints par l’AVPC (3), viennent de lancer une initiative cantonale intitulée «Ecole 2010 – Sauver l’école». Le délai pour la récolte des signatures est le 25 janvier 2008.

Les initiateurs sont des enseignants et des parents d’élèves, non des candidats à la recherche de notoriété électorale. Ils ont constaté les problèmes qui se posent à l’école vaudoise, ils sont remontés aux erreurs qui les ont engendrés et ils proposent des remèdes. Leur site internet (4) détaille le long travail d’enquête et de réflexion qui a abouti au texte de leur initiative. Ils se donnent même le luxe d’énumérer les arguments des adversaires et d’y répondre.

Dans les grandes lignes, le texte prévoit de remettre la transmission systématique et structurée des connaissances au premier plan des tâches de l’école. Les initiateurs veulent revaloriser la grammaire et l’orthographe et en finir avec les méthodes globales et «constructivistes» au profit d’un enseignement explicite. C’est particulièrement nécessaire et urgent pour le français, vu le fiasco reconnu par tous de la méthode «Maîtrise du français». Ils entendent en outre consolider le système à trois voies et améliorer la voie secondaire à options, dans le but de mieux préparer les élèves à leurs futures activités professionnelles. Ils veulent abandonner les cycles de deux ans pour revenir à un rythme annuel, plus naturel et maîtrisable, plus lisible, comme on dit. Enfin, ils demandent la réintroduction des notes au demi-point, des moyennes et de la moyenne générale dès la première année primaire.

Ont-ils trop chargé le bateau? Nous ne le croyons pas. En plus de quarante ans de réformes incessantes, c’est l’école tout entière et dans tous ses aspects qui a été lésée, les structures, les programmes, les manuels, les méthodes et les systèmes d’évaluation. Il y a donc une certaine logique à ce que les auteurs de l’initiative reprennent le problème scolaire dans son ensemble et proposent au peuple de revoir l’entier de la copie.

C’est pour cela (outre le fait qu’un texte constitutionnel se contentant de généralités est trop facile à contourner) que les auteurs ont choisi de lancer une initiative de rang législatif rédigée de toutes pièces. Leur approche à la fois cohérente et détaillée imposait une révision systématique de toute la loi. Voilà pourquoi la feuille de récolte de signatures comporte deux pages de plus que d’habitude. Ce n’est pas très excitant, mais c’est nécessaire si l’on veut faire un travail de fond.

L’initiative dénonce les idées apparues il y a une cinquantaine d’années dans le sillage du fameux plan Langevin- Wallon (les idées «de grandpapa»!), idées auxquelles s’accroche une vieille garde qui se croit encore à la pointe du progrès: élève placé au centre, dépositaire des valeurs et cocréateur du savoir, prééminence de la méthode sur la matière à enseigner, omniprésence de la méthode, réduction de l’enseignant au rôle d’animateur, absence de contraintes directes, suppression à n’importe quel prix de l’échec, refus de la compétition.

A l’annonce du lancement de l’initiative, la vieille garde a réagi pathétiquement. Dans un communiqué tremblotant de fureur de la Société pédagogique vaudoise (SPV) du 25 septembre, elle a ressorti les vieilles formules de la naphtaline: les initiateurs ont «le nez dans le guidon et l’oeil tourné vers le rétroviseur»; ils «se projettent dans l’avenir avec les lunettes du passé»; ils renforcent «l’exclusion»; leurs constats sont «mensongers». Et, bien entendu, ils font fi de «la recherche en éducation». Cette formule, rabâchée jusqu’à l’écoeurement, ne désigne en fait que les ultimes soubresauts rédactionnels de leurs compères idéologues, lesquels sont démonétisés depuis longtemps.

Car voilà des années que d’autres chercheurs, psychologues, neurologues, linguistes, se sont attaqués aux tabous de la réforme. Ils contestent la pertinence des méthodes globales, dénoncent leur inadéquation et leurs effets pervers. Ils réhabilitent les notions d’autorité, d’effort, de compétition, de dépassement de soi. L’échec scolaire lui-même prend à leurs yeux, sous certaines conditions, une valeur formative. Ces chercheurs ont raison ou tort, mais une chose est certaine: ils n’ont jamais pu obtenir le moindre début de dialogue, la moindre contestation argumentée de la part des idéologues de la réforme. Ceux-ci se contentent de leur opposer automatiquement la double accusation de «passéisme» et d’«élitisme». Et c’est encore ce que la SPV vient de faire.

Quand on les critique, les réformateurs scolaires et leur conseiller d’Etat du moment font le gros dos et attendent, en émettant des propos rassurants et dilatoires, que l’orage s’éloigne. C’est de bonne tactique dans une société du zapping. Il n’est donc pas inutile de rappeler que le sondage réalisé en 2000 auprès des patrons vaudois (5) avait mis en lumière des insuffisances en mathématiques et surtout en français telles que la formation de beaucoup d’apprentis en était devenue problématique. Plus récemment, l’EPFL signalait le niveau gravement insuffisant des bacheliers vaudois en matière de mathématiques. Pensons encore au ratage cosmique de la HEP, qui fut en quelque sorte le chef-d’oeuvre des apprentis-sorciers d’EVM et Cie. Ces faits, et combien d’autres, méritent tout de même un traitement plus vigoureux que les propos soporifiquement satisfaits de Mme Lyon.

«EVM a été démocratiquement votée par les Vaudois et l’initiative remet cette décision en cause», dit on avec les accents de la vertu outragée. Objection doublement déplacée, d’abord parce qu’une telle remise en cause est parfaitement conforme aux institutions, ensuite parce qu’EVM n’a jamais existé. L’école actuelle n’a rien à voir avec les prévisions et descriptions mirobolantes du chef du Département de l’époque. Elle ressemble beaucoup plus à ces fameux diables que les opposants étaient accusés de peindre sur la muraille: suppression des notes et des moyennes, abaissement des exigences, éradication accélérée des humanités, aggravation des conflits dus aux décisions d’orientation, augmentation des coûts.

Mme Lyon, chef du Département de la Formation et de la Jeunesse, est furieuse. La «paix scolaire» qu’elle avait si habilement instaurée est rompue. Mais de quelle paix parle-t-on? La paix suppose un accord des parties sur le fond. Il n’y a pas d’accord sur le fond. Ce n’est même pas un armistice où chacun camperait sur ses positions. Il s’agit d’une cessation unilatérale des hostilités, imposée par quelques politiciens qui ne représentaient qu’euxmêmes, laissant le champ libre aux réformateurs.

Certains enseignants que nous connaissons sont las des infructueux combats conduits depuis tant d’années contre la réforme scolaire et rechignent à recommencer. En fin de compte, ils ne se trouvent pas si mal de cette apparence de paix. Ils en profitent pour consacrer leur temps à leurs élèves. D’une certaine façon ils ont raison. Mais ce réalisme professionnel ne doit pas les empêcher de voir que les réformateurs et, à leur traîne, les politiciens, se préparent à bouleverser une fois de plus les conditions mêmes d’exercice de leur métier. Pendant qu’ils enseignent «en paix», le Département prépare l’introduction de la filière unique. Il s’agirait là d’un nouveau bouleversement de l’école, l’un des plus lourds et aux conséquences les moins prévisibles, avec son cortège annoncé de promesses intenables, de conduite à vue, de mesures hâtives, de recyclages bâclés, de déceptions et de surcroît de charges pour les enseignants, de temps perdu pour les élèves doués, d’obstacles désespérants pour ceux qui ne le sont pas. N’est-ce pas payer trop cher une paix très relative et toute provisoire?

L’un des effets de l’initiative sera donc aussi d’empêcher que la filière unique ne soit introduite en douceur. C’est d’autant plus urgent que cette introduction a déjà sournoisement commencé, notamment avec la publication de manuels communs aux trois voies, mais aussi avec l’obligation faite à tous les établissements scolaires d’ouvrir les trois voies. L’incapacité de certains d’entre eux de répondre à cette obligation sera, le moment venu, un argument puissant pour le passage à la voie unique.

A plus long terme – c’est du moins notre avis, nous ignorons si c’est celui des initiateurs – on doit craindre que la réforme ne prolonge la scolarité obligatoire jusqu’à dix-huit ans, avec au bout le bac – n’importe quel bac, mais le bac! – pour tout le monde et avec la scolarisation de la formation professionnelle, c’est-à-dire la disparition de l’apprentissage en entreprise6. Dans cette perspective aussi, l’initiative arrive à son heure.

Les Vaudois doivent une vive reconnaissance et surtout un soutien sans faille aux courageuses personnes qui ont rompu une trêve fallacieuse et repris une lutte plus nécessaire que jamais.


PS: Nos lecteurs trouveront une feuille de signatures encartée dans cette Nation. Nous les prions d’en faire bon usage. Ils peuvent en commander d’autres au secrétariat de La Nation, au 021 312 19 14, ou par courriel: secretariat@ligue-vaudoise.ch.


NOTES:

1) Association vaudoise pour une école crédible.

2) Association des parents intéressés et concernés par la scolarité.

3) Association vaudoise des parents chrétiens.

4) www.ecole2010.ch

5) Sondage réalisé par le Centre Patronal à la demande de Mme Jeanprêtre, chef du Département de la Formation et de la Jeunesse.

6) Sur ce dernier point, nous constatons que les défenseurs du «système dual» refusent absolument de voir l’incompatibilité de principe qui existe entre ce système et l’idéologie de la réforme.

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Au sommaire de cette même édition de La Nation:
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  • Délinquence étrangère – On nous écrit, David Laufer
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  • Fantin-Latour de la réalité au rêve – Nicolas de Araujo
  • L'agriculture comme l'énergie – Nicolas de Araujo
  • J'aime l'Amérique – Daniel Laufer
  • Triste spectacle – Revue de presse, Ernest Jomini
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  • Déséquilibres – Revue de presse, Philippe Ramelet
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