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Une succession

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1822 26 octobre 2007
«M. Jean-François Cavin, qui est à la tête de notre organisation depuis 1984, prendra sa retraite l’été prochain à l’âge de 65 ans. Nous lui disons toute notre reconnaissance. Pour le remplacer, nos organes dirigeants ont désigné M. Christophe Reymond comme nouveau directeur du Centre Patronal et secrétaire général de la Fédération patronale vaudoise, avec effet au 1er juillet 2007.» Ce communiqué annonçant un changement au sommet de la plus importante association économique du Canton, et de la Suisse romande, est d’un laconisme qui frise la provocation.

La vie humaine est plus courte et fragile que l’institution. Cela fait que le souci d’assurer sa succession est un souci lancinant de tout patron réaliste, et pas seulement en fin de carrière. Il est d’ailleurs probable que M. Reymond, instruit par l’exemple de ses devanciers, pense déjà à qui pourrait le remplacer. «La succession fait partie du mandat» disait Philippe Hubler, auquel M. Cavin a succédé en 1984. Et c’est en 1972 que M. Hubler avait remplacé M. Raymond Burnat, lequel avait créé l’organisation que nous connaissons en 1947.

La nécessité d’assurer sa succession n’est pas propre au monde économique. En politique aussi, la préparation sereine et à long terme de la transmission du pouvoir devrait être la règle. Mais la mécanique des partis ne permet pas à l’élu de désigner son dauphin. L’ancienne conseillère aux Etats Christiane Langenberger déclarait récemment à quel point elle et ses avis perdirent tout intérêt pour son parti dès lors que la date de sa retraite fut connue. C’est que les papables qui, dans chaque parti, se battent comme des chiffonniers pour la succession, entendent bien ne pas laisser la maîtrise des opérations à un presque has been. D’une certaine façon, avoir un dauphin constituerait même plutôt une menace pour le politicien démocrate en place, qui pourrait se voir débarqué avant son heure. La seule manière pour un élu de conserver une petite influence sur sa succession consiste à démissionner en cours de mandat pour laisser sa place au «vientensuite».

Les longs mandats de direction, rendus possibles par l’organisation particulière du Centre Patronal, ont permis à chacun de ses chefs de donner une impulsion à la fois personnelle et durable à l’institution, de travailler en profondeur sans se soucier de réélections périodiques. A l’inverse de Philippe Hubler, capitaine fonçant à la tête de ses troupes, bagarreur sec et sarcastique, Jean-François Cavin s’exprimait tout en douceur. Ses adversaires n’étaient pas cassés en deux, mais enrobés dans une rhétorique subtile, fondée sur des connaissances encyclopédiques et entrecoupée de longs silences. Cela ne l’empêchait pas, à l’occasion, de dire leur fait très frontalement aux représentants du monde politique, et tout particulièrement au Gouvernement vaudois. La courtoisie de la forme mettait en valeur la dureté du fond. De tempérament fort différent, les chefs succéssifs sont toujours restés au service du même corps d’idées: priorité à l’initiative personnelle et refus de l’étatisme mortifère, importance centrale du dialogue entre partenaires sociaux, respect des accords passés, fédéralisme sans concession.

A l’origine, l’idée était de créer de véritables corporations, unissant institutionnellement les patrons et les employés de chaque métier ou groupe de métiers. Elle a été abandonnée dès après la guerre, tant elle était contraire aux idéologies de la lutte des classes et du libéralisme individualiste. Néanmoins, le dialogue entre syndicats patronaux et ouvriers, conduit loyalement dans le cadre de la paix du travail, permet d’atteindre une bonne partie des objectifs de la corporation. Pas tous: en particulier, nous ne cesserons jamais de déplorer que les syndicats patronaux et ouvriers n’aient aucune prise sur les décisions concernant la formation scolaire des futurs apprentis et employés.

Le long temps donne l’occasion de faire ses preuves. Il permet d’instaurer la confiance entre des adversaires qui, combats après combats, accords après accords, finissent par acquérir une réelle estime les uns pour les autres. M. Aldo Ferrari, secrétaire régional du syndicat UNIA, juge ainsi M. Cavin: «En politique c’est un adversaire, mais dans le monde du travail un partenaire qui préférera toujours un bon accord entre gens de terrain à une mauvaise réglementation étatique.» (1) Un tel éloge vaut une bataille gagnée.

Ce qui se passe bien ne fait pas de bruit. Ce qui fonctionne n’appelle guère de commentaires. Il faut être conscient que ce passage en douceur est le résultat d’un effort qui a débuté il y a plusieurs années. M. Reymond a pris des charges de plus en plus importantes. Il a peu à peu été associé à des décisions stratégiques. L’idée qu’il serait responsable de l’institution a cheminé dans l’esprit de ses futurs subordonnés… et dans le sien. La désignation formelle, sa publication et son entrée en vigueur ne furent que la conclusion officielle. Nous souhaitons à M. Reymond de défendre à son tour l’économie vaudoise et la souveraineté du Pays de Vaud durant de longues années.

Quant à M. Cavin, nous lui souhaitons de continuer à mettre sa plume alerte et ses autres compétences au service du Pays, s’il voit ce que je veux dire.


NOTES:

1) Cité par Laurent Busslinger dans «Le coup de griffe facile de Jean-François Cavin, patron national vaudois», 24 heures du 19 juin dernier.

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  • Les impressions littéraires de Jean-Louis Kuffer – La page littéraire, Vincent Hort
  • Deux soirées avec Pascal Auberson – La page littéraire, Olivier Delacrétaz
  • L'unité cachée du libéralisme – Jacques Perrin
  • Le triomphe du fisc – Olivier Klunge
  • Le cyber-petit-confort – Pierre-François Vulliemin
  • Un roi pour l'unité – Nicolas de Araujo
  • Juvenilia LXXXII – Jean-Blaise Rochat
  • La Vérité! – Le Coin du Ronchon