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Lex Koller: abrogation ou assouplissement?

Olivier Klunge
La Nation n° 1824 23 novembre 2007
L’acquisition d’immeubles en Suisse par des étrangers a été légalement restreinte depuis 1961. La crainte était alors particulièrement forte de voir le sol helvétique passer petit à petit entièrement sous l’emprise de l’étranger. Ce régime de limitation subit de nombreuses modifications, plus ou moins strictes, au fil des décennies: Lex von Moos, Lex Celio, Lex Furgler, Lex Friedrich et finalement en 1997 Lex Koller, que le Conseil fédéral propose aujourd’hui d’abroger. (1)

La loi actuelle

Actuellement, tous les étrangers résidant légalement en Suisse peuvent acquérir un bien-fonds comme résidence principale; ils peuvent également acquérir sans restriction de l’immobilier commercial. Les restrictions d’achat d’immobilier suisse par des étrangers résidents ou non-résidents ne concernent donc que les acquisitions de résidences secondaires et les biens d’investissement (immobilier résidentiel), ainsi que toutes les formes indirectes permettant à un étranger de bénéficier de fait d’un pouvoir de disposition sur un immeuble (prêt, société immobilière, etc.)

Si les étrangers non-résidents en Suisse sont soumis quelle que soit leur nationalité aux restrictions de la loi fédérale sur l’acquisition d’immeubles par des personnes à l’étranger (LFAIE), les accords bilatéraux signés avec l’Union européenne favorisent les ressortissants des Etats membres de cette dernière par rapport aux autres. Les Européens résidant en Suisse (permis B) peuvent investir sans restriction dans la pierre, alors que les autres doivent attendre leur permis d’établissement (permis C) pour échapper à la LFAIE.

La loi fédérale interdit en principe tout achat de biens fonciers à titre d’investissement; les exceptions concernent les acquisitions par héritage ou par des institutions de prévoyance.

Pour les résidences secondaires, la loi a institué un régime d’autorisations contingentées par canton. Quatre cantons reçoivent trois quarts des autorisations: Valais (418 en 2005), Grisons (270), Tessin (236) et Vaud (216). Les cantons désignent des communes touristiques auxquelles ils attribuent librement les autorisations LFAIE dans la limite de leur contingent. Depuis 2002, les reventes de logements de vacances entre étrangers ne sont plus soumises au contingentement. Ces dernières années, la demande provenant de non-résidents en Suisse étant beaucoup plus forte que ce que permettraient les contingents, la loi a été contournée de manière plus ou moins «sportive». Le Conseil fédéral a d’ailleurs décidé, le 14 novembre dernier, d’augmenter de 80 unités, au maximum légal, le contingent total des autorisations pour logements de vacances. (2)

Le projet du Conseil fédéral

Aujourd’hui, le Conseil fédéral estime qu’il n’existe plus de risque d’emprise étrangère sur le sol indigène. Au contraire: «Des investissements étrangers directs dans la construction de logements peuvent créer ou maintenir des places de travail et augmenter l’offre en appartements à louer qui se fait rare à beaucoup d’endroits.» De plus, la discrimination envers des étrangers non établis en Suisse serait une atteinte grave au principe d’égalité.

Notre gouvernement central propose donc d’ouvrir de manière illimitée le placement de capitaux par des étrangers (domiciliés ou non) dans l’immobilier suisse (commercial ou résidentiel).

Pour le Conseil fédéral, le seul problème reste la multiplication des résidences secondaires (les fameux lits froids) et la pression qu’elle entraîne sur «la qualité des paysages qui constituent le capital touristique des régions de montagnes.» (3)

La question n’est donc pas la nationalité de celui qui construit, mais l’affectation de la construction. Les résidences secondaires de Suisses ou d’étrangers doivent être régulées. Pour ce faire, la Confédération se propose d’édicter un nouvel alinéa à l’article 8 à la Loi fédérale sur l’aménagement du territoire (LAT): «[Les cantons] désignent les territoires où des mesures particulières doivent être prises en vue de maintenir une proportion équilibrée de résidences principales et de résidences secondaires.»

Selon le projet: «Cela leur laisse le choix de mesures différenciées et adaptées aux données locales. Il peut s’agir par exemple de fixation de quotas [entre les résidences secondaires et les domiciles principaux pour les nouveaux immeubles]ou de contingents, de la délimitation de zones affectées principalement aux résidences principales ou secondaires dans les plans d’affectation, de coefficients minimum d’utilisation du sol (pour éviter la dispersion de petits chalets), de taxes compensatoires ou encore de mesures fiscales ou de politique foncière.»

«[…] Pour soutenir les cantons et les communes dans leur mise en oeuvre, l’administration prévoit (sous-entendu: généreusement) de constituer un groupe de travail [… qui] sera chargé d’élaborer des recommandations (il faut comprendre: des directives contraignantes en pratique…) et d’assurer la coordination (c’est à dire l’application uniforme de la pratique administrative fédérale).»

Un délai de trois ans est laissé aux cantons pour adapter leur plan directeur; ce n’est qu’à l’échéance de ce délai que la LFAIE sera effectivement abrogée. Dans les cantons qui n’auront pas pris les mesures nécessaires à l’expiration des trois années, «aucune nouvelle résidence secondaire ne sera plus autorisée».

Quelques réactions

Si l’abrogation de la LFAIE était, il y a peu, vivement demandée par les milieux immobiliers et touristiques désireux de rendre le marché suisse plus attractif ainsi que par les milieux libéraux et socialistes pour des motifs idéologiques de non-discrimination et d’ouverture au monde, le vent semble aujourd’hui avoir tourné.

Dès la publication du projet d’abrogation du Conseil fédéral, M. Franz Weber et les partis nationalistes ont immédiatement annoncé leur opposition totale à ce projet. Ils ont été rapidement rejoint par l’UDC qui a décidé de refuser le texte préparé par le département de M. Christoph Blocher. Les milieux écologistes ont également fait savoir qu’ils se joindraient à un référendum si les mesures d’accompagnement en matière d’aménagement du territoire n’étaient pas renforcées (dans une mesure qu’on devine inacceptable pour l’économie). Même les socialistes, à la suite du lobby des locataires, l’ASLOCA, semblent hésiter devant un texte qui, par son ouverture au monde, mettrait les locataires de chez nous entre les mains de spéculateurs étrangers qui ne seraient, tout compte fait, pas moins cupides que les Suisses, au contraire.

Dans les milieux immobiliers même, des craintes se font sentir qu’une ouverture totale du marché à des investisseurs non domiciliés pourrait entraîner une forte pression sur un marché déjà en plein essor. Au vu de l’importante demande que connaît l’immobilier commercial déjà libéralisé, on peut craindre que le marché du résidentiel soit faussé par des investisseurs désireux, non pas de réaliser des rendements locatifs, mais de placer de l’argent dans le coffre-fort de l’Europe. Actuellement, il ne se passe pas de semaine sans l’annonce du rachat à des prix exorbitants d’immeubles commerciaux en Suisse par des étrangers.

Nous devons également avouer un certain scepticisme face à une abrogation totale de la Lex Koller. En effet, un investisseur domicilié en Inde est forcément moins conscient des réalités locales du marché locatif et du droit du bail suisse qu’un propriétaire helvétique. De plus, une nouvelle augmentation massive des prix de l’immobilier pourrait exclure les locaux de l’accession à la propriété foncière, particulièrement dans les villes.

Quant au problème des résidences secondaires, s’il est évident dans certaines stations ou sites touristiques, le projet du Conseil fédéral censé y répondre est inutile et inadapté.

Inutile, car les cantons et les communes ont aujourd’hui déjà la compétence d’édicter des règles d’aménagement du territoire pour lutter contre les lits froids ou pour permettre aux populations locales de se loger encore dans leurs villages. Des communes, telles Crans, Zermatt ou Chardonne, ont déjà pris de telles mesures, approuvées par les populations concernées et adaptées à la situation réelle de l’immobilier local. Nul besoin que la Confédération s’en mêle; chaque canton est seul capable d’évaluer comment concilier sauvegarde du paysage, développement économique et promotion touristique à long terme! Nous ne voyons dans le projet du gouvernement central qu’une nouvelle tentative d’emprise fédérale sur la politique territoriale des cantons.

Le projet du Conseil fédéral est également inadapté. Il n’est, en réalité, pas tout à fait égal qu’une résidence secondaire soit occupée par un Suisse ou un étranger non domicilié. En effet, le milliardaire russe ne viendra certainement pas plus d’une semaine dans sa résidence grisonne, alors que le Vaudois montera peut-être toutes les fins de semaine dans son petit chalet des Diablerets. C’est aussi une question d’attachement.

Une ouverture totale du marché immobilier suisse aux capitaux étrangers n’est donc pas souhaitable au vu des risques de surchauffe et d’éviction des Suisses de la propriété foncière, particulièrement urbaine. D’un autre coté, la loi actuelle est sans doute trop rigide et opère des distinctions inutiles. Par exemple, la détention de parts de fonds immobiliers non cotés est soumise aux règles de la LFAIE, alors que la définition même d’un placement collectif de capitaux implique que l’investisseur n’a pas de droit sur les biens détenus, ni de part à la gestion, mais seulement une prétention financière à la quote-part de la fortune et des bénéfices totaux. Une libéralisation de l’acquisition de placements immobiliers par des étrangers serait donc tout à fait envisageable. De même, un assouplissement des règles d’acquisition pour tous les étrangers résidant en Suisse ne poserait certainement pas non plus de problème.


NOTES:
1) FF 2007 5455 ss.
2) Communiqué du DFJP
3) FF 2007 5478

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