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Aulikocratie, épimélétocratie, antiprosopocratie et autres étrangetés démocratiques

Olivier Delacrétaz
La Nation n° 1905 31 décembre 2010

La démocratie se définit comme le gouvernement du peuple. Nous voudrions prendre la mesure de cette définition en examinant comment la démocratie organise les rapports de pouvoir entre trois couples d’acteurs politiques qu’on retrouve dans tous les régimes: le souverain et ses courtisans, l’Etat et son administration, le peuple et ses représentants.

Aulikocratie

Le courtisan vit, pense, respire au rythme du roi, obsédé d’obtenir sa faveur en le flattant, en le faisant rire, en lui fournissant des conseils indolores et des services inédits. Il est essentiellement servile.

Ce courtisan à l’ancienne subsiste en France, la plus monarchique des républiques. Les féaux qui gambadaient pieusement autour de Mitterrand montant à pas lents et les yeux mi-clos à la Roche de Solutré en étaient de parfaits exemples; l’homme d’affaires Vincent Bolloré aussi, qui met son yacht et son jet à la disposition du président Sarkozy. Mais ces courtisans-là n’ont rien de spécifiquement démocratique.

Le vrai courtisan démocratique, c’est le candidat aux élections. C’est lui qui flagorne le souverain démocratique, c’est-à-dire le peuple. Organisé en faction partisane avec ses alliés provisoires et rivaux potentiels, il flatte ses passions, l’envie, le ressentiment, la peur, la haine si nécessaire. Il s’efforce d’acquérir sa reconnaissance exclusive à coups de promesses mirobolantes et d’initiatives populaires qui complaisent à ses instincts. Tout lui est bon pour recevoir le signe suprême de la reconnaissance du souverain, un vote en sa faveur.

Elu, le candidat prend ses distances avec celui qui l’a fait roi. Mais l’échine conserve sa souplesse et l’âme sa faiblesse. Il demeure attentif au trend des prochaines échéances électorales. Même s’il n’envisage pas de se représenter, il reste un courtisan.

C’est ainsi que la démocratie est une aulikocratie, le gouvernement des courtisans.

Epimélétocratie

L’action politique exige la continuité de la vision et de l’action. Or, le pouvoir démocratique est discontinu. Tous les cinq ans, il fait table rase du passé. Quant à l’élu démocratique, il devrait vouer tous ses soins à former son successeur, comme tous ceux qui sont chargés d’une responsabilité. Mais cela signifierait qu’il fourbit lui-même les armes de son rival. Sa survie politique exige donc au contraire qu’il coupe les têtes qui dépassent, surtout dans son propre parti. Après lui, comme après chaque élu, le déluge!

Faute de continuité politique, on se replie sur la continuité administrative. Par son inertie, la bureaucratie assure une apparence de stabilité étatique. Elle assure aussi la mise en oeuvre des décisions prises, sans toutefois être apte à les rectifier en fonction des situations nouvelles. Mais mieux vaut une continuité morte que pas de continuité du tout! C’est en tout cas le sentiment qui prévaut.

Parvenu sur le siège durement conquis, l’élu se heurte à des chefs de service qui se considèrent comme les vrais responsables de l’Etat. Ils en connaissent mieux que lui les rouages et les chantiers en cours. Ils sont indifférents aux aléas électoraux et capables d’une résistance passive sans limites. L’élu n’aura du pouvoir que les oripeaux, non l’usage. S’il est énergique, il pourra imposer un certain style et certaines orientations, mais dans un cadre et pour un temps limités. Après son passage, l’administration ressortira renforcée.

Un des principes seconds de la démocratie, qui est le contrôle populaire du pouvoir par la menace d’une non-réélection, est ainsi vidé de sa substance. Le peuple ne contrôle qu’un surfer interchangeable en équilibre précaire sur un pouvoir anonyme. Echappant à l’élu, ce pouvoir échappe du même coup au contrôle du peuple. Il les précède l’un et l’autre, et leur survit.

En théorie, l’administration est le bras du pouvoir. En pratique, c’est l’élu qui est la voix de l’administration. La démocratie est une épimélétocratie, le gouvernement des administratifs, la conduite de la tête par le bras.

Antiprosopocratie

Le parlement prétend assurer une double fonction à l’égard du peuple. D’une part, il est son représentant face au pouvoir politique. D’autre part, il conçoit et promulgue les lois que le gouvernement imposera à ce même peuple.

Le régime parlementaire confond et brouille le mouvement ascendant de la représentation et le mouvement descendant de la législation, dénaturant ainsi ces deux fonctions essentielles. Alors qu’il s’agirait de représenter les intérêts concrets des personnes et des groupes face à l’Etat, le parlement joue une représentation verbeuse et factice des opinions supposées des électeurs. Et à la place d’une législation stable et durable qui devrait donner force de loi aux usages sociaux et professionnels conformes au bien commun, les parlementaires imposent à la population des textes promis à d’incessantes modifications, reflets changeants de leurs conflits idéologiques et personnels. Le parlement est un mandataire qui commande à son mandant.

La démocratie est une antiprosopocratie, le gouvernement des représentants.

Chaocratie

En réalité donc, le peuple ne commande pas grand-chose. Son rôle se borne à parfumer de légitimité ses courtisans, ses bureaucrates et ses prétendus représentants, tout un monde qui, à tour de rôle ou en même temps, le régit, le taxe et le méprise, s’efforçant de réduire à rien la portée de ses droits spécifiques que sont le référendum et l’initiative!

Eparpillée par sa triple contradiction aulikocratique, épimélétocratique et antiprosopocratique, la démocratie s’achemine irrémédiablement vers le désordre tous azimuts de la chaocratie. Par bonheur, en démocratie, les hommes valent mieux que le régime et il leur arrive de prendre des décisions politiques courageuses et propices au bien commun. Mais en dessous, le désordre inhérent au système contamine chaque jour un peu plus la société.

La crise chaocratique persistante annonce le recours aux pleins pouvoirs, forme légale de la tyrannie. Pas de souci, comme on dit aujourd’hui! Les courtisans, bureaucrates et représentants y feront très bien leur nid.

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