Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

Notes économiques

Jean-François Cavin
La Nation n° 1906 14 janvier 2011
La précision dans l’ignorance

Le tournant de l’année est propice aux prophéties: de quoi le nouveau millésime sera-t-il fait? Les fabricants d’horoscopes s’en donnent donc à cœur joie par pleines pages des journaux. Les économistes aussi, qui tentent de deviner l’évolution future du produit intérieur brut. Pour la Suisse, les uns parlent d’une hausse de 1,1%, d’autres de 1,7%; le Crédit Suisse s’arrête à 1,2%, le Secrétariat d’Etat à l’économie monte à 1,5%. Comme l’avenir n’appartient à personne et que tout pronostic repose sur des hypothèses discutables, la précision des prédictions, une décimale après la virgule, fait sourire. Bien sûr, derrière ces chiffres relevant de la micromécanique conjoncturelle, il y a toutes sortes de calculs et de scénarios dont on tire la moyenne. Au bon peuple, il suffirait pourtant de savoir que les augures s’accordent sur une croissance modérée un peu supérieure à 1%. Mais les spécialistes veulent montrer que l’économie est une science exacte.

En réalité, on peut prévoir plus ou moins ce qui se passerait sans accident. Mais où irons-nous si des risques majeurs se réalisent? Or deux périls nous menacent, qui pourraient rendre toute prévision obsolète: la crise de l’euro et l’explosion de la bulle immobilière lémanique.

La glissade de l’euro

Jadis réputé monnaie forte, l’euro n’en finit pas de se déprécier depuis deux ans. Il serait faux d’y voir la conséquence de la crise financière de 2008, qui a été surtout un révélateur. Car l’oubli des règles de Maastricht et le surendettement des Etats méditerranéens remonte bien plus haut dans le temps, de même que l’engagement imprudent des banques ibériques et irlandaises dans des investissements de surchauffe immobilière. La monnaie européenne tiendra-t-elle le coup?

Les pays faibles, France comprise, ne vont évidemment pas s’en retirer: ce serait tomber dans l’abîme. Il n’y a que l’Allemagne qui soit assez forte, politiquement et économiquement, pour lui donner le coup de grâce. Mais on n’imagine guère ce pilier de la construction européenne la mettre à mal et ce pays puissamment exportateur provoquer une crise politique dans une situation qui profite tout de même à son industrie. Le plus probable est qu’on continue à «rebletzer» l’euro, à coups d’interventions des fonds européens… et du FMI: où l’on voit que l’Europe, toute honte bue, quémande le soutien mondial comme un pays du tiers monde.

Pour que le FMI ait les moyens de ce genre de sauvetage, ses membres – Suisse comprise – sont priés de le refinancer. Pour notre pays, la contribution extraordinaire monte à 12,5 milliards de francs. Faut-il en subordonner l’octroi à des concessions de l’Union européenne envers la Confédération dans d’autres domaines de leurs relations? N’oublions pas que la Suisse exportatrice et touristique a aussi intérêt à ce que l’euro se stabilise. Plutôt que de mélanger officiellement les bidons, nous verrions mieux que notre diplomatie agisse en coulisses pour obtenir que la solidarité helvétique soit payée de retour.

La bulle immobilière lémanique

Les logements neufs atteignent des prix pharamineux, qui ne sont même plus à la portée des familles jouissant d’une certaine aisance, mais seulement des vrais nantis: les CEO de multinationales, quelques financiers chanceux et de hauts fonctionnaires socialistes, dont l’effectif ne suffit pas à acheter des milliers de PPE à 2,5 millions. On a l’impression que ça ne peut pas durer… alors même que cela dure depuis plusieurs années. Existe-t-il donc une bulle? Les banquiers assurent qu’ils ont compris les leçons du passé et ne consentent plus de prêts hypothécaires au-delà de 90%, éventuellement 100% de la valeur du bien. Mais quelle est cette valeur? Notre petit doigt nous dit que la concurrence entre établissements de crédit conduit certains de ceux-ci à surévaluer les objets. La leçon aurait donc porté en ce sens que la bulle serait gonflée par d’autres procédés aujourd’hui que naguère.

Explosera-t-elle? Probablement, mais on ne sait pas quand. Et avec des dégâts moindres qu’au milieu des années nonante, parce que les provisions bancaires sont plus solides et parce que la demande de logements restera forte, à cause d’une évolution démographique soutenue par l’immigration. Mais ce jour-là, le bâtiment souffrira quand même; et quand le bâtiment ne va pas…

Une prospérité incroyable

En attendant le pire éventuel, saluons le meilleur actuel: une croissance du PIB helvétique approchant 3% en 2010, une bonne tenue des exportations dans l’ensemble (+30% environ pour l’horlogerie!) malgré certaines difficultés dues au franc fort, une inflation quasi nulle, des salaires en hausse réelle, une consommation vigoureuse, un moindre endettement global des collectivités publiques (on ne parle pas ici de la Ville de Lausanne après deux décennies de conduite à gauche). Un tableau idyllique, en éclatant contraste avec la situation de plusieurs voisins. Et la prospérité des ménages fait le bonheur des commerçants, qui bouclent une jolie année.

De belles marges chez les géants oranges?

Dans le commerce de détail, les grands distributeurs, nageant dans les bénéfices grâce à la baisse de l’euro et à la bonne conjoncture intérieure, annoncent des cadeaux à leurs clients sous forme de rabais d’une ampleur inusitée. Mais les commentateurs font la moue: les marges des géants resteraient trop considérables en comparaison européenne. Le hic, c’est que Migros et Coop ont toujours refusé de publier leurs marges brutes et qu’on en est donc réduit aux suppositions. Un institut mandaté par Promarca (le club des produits de marque) indique 37% pour Migros et 33,1% (encore une décimale après la virgule!) pour Coop. Et Le Temps du 29 décembre corrobore: ces données, explique-t-il, sont «confirmées par des professionnels (…). Lesquels évoquent néanmoins plutôt le chiffre de 25%». Correctif minime: comme si l’on disait que Le Temps compte 60’000 lecteurs, et que des professionnels le confirment en parlant plutôt de 40’000…

L’économie, on vous le dit, est une science exacte.

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*


 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation: