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Michel Corboz, la perfection dans le naturel

Jean-François Cavin
La Nation n° 1910 11 mars 2011
L’Ensemble Vocal de Lausanne, qui fait rayonner le nom de la capitale vaudoise sur plusieurs continents, fête son jubilé. Notre journal (n° 1908) a déjà mentionné le riche programme des manifestations de cet anniversaire, marqué notamment par la parution d’un film sur Michel Corboz, fondateur et chef de l’EVL. Les auteurs, MM. Rinaldo Marasco et Jérôme Piguet, sont férus de musique… mais de rock n’roll! C’est leur rencontre fortuite avec Michel Corboz, par le truchement d’un colocataire choriste à l’EVL, qui leur a fait découvrir la musique classique et Bach en particulier.

Le film est réussi, parce qu’il prend Michel Corboz sur le vif, et nullement dans la solennité des concerts. C’est dans les coulisses d’une grande scène du Japon qu’on voit le chef et son ensemble, ou lors d’enregistrements en studio, ou dans de courtes interviews, et surtout pendant les répétitions. Il en résulte un portrait fidèle et coloré – où M. Corboz se reconnaît luimême – avec ce mélange très personnel de perfectionnisme (et la claire conscience de pouvoir viser à la perfection) et d’humilité devant la musique, d’ardeur et de suavité, avec des moments d’enthousiasme, des élans d’affection (le chef aime embrasser ses choristes), quelques minutes de grande colère et même un instant de méchanceté envers les chanteurs; on n’en croyait pas M. Corboz capable et il s’en excuse d’ailleurs après l’emportement: c’est la frustration d’un amoureux de l’excellence momentanément déçu… Il faut dire que presque toutes les séquences du film tournent autour de la Messe en si, ce qui justifie les plus hautes exigences, comblées d’ailleurs quand on écoute Corboz et l’EVL dans ce chef-d’oeuvre, au concert ou en disque.

Notre Canton, où le chant choral a fleuri, a compté beaucoup de très bons chefs. Sans citer ici les grands noms de ceux qui ont quitté ce monde après avoir marqué notre vie musicale depuis le début du XXe siècle, disons notre reconnaissance à André Charlet, à Jean- Jacques Rapin, à Pascal Mayer notamment qui nous ont fait vivre d’inoubliables heures à la tête de leurs phalanges. Chacun a son style. Quel est donc celui de Corboz, à l’honneur aujourd’hui?

Il est difficile de le définir pour une raison qu’on verra tout à l’heure. On est frappé par la souplesse, l’élasticité du phrasé et de la diction. Dans les années soixante, où le jeune musicien venu de la Gruyère commençait à s’imposer, on sortait d’une ère où les grands chefs allemands, qui tenaient le haut du pavé, bâtissaient les oratorios et les messes comme de puissantes architectures, avec une solidité assez carrée. Corboz leur opposa une manière bondissante, où les accents du texte et de la musique – inséparables – créaient un dynamisme vivifiant, qui parut d’emblée si juste pour Monteverdi et qui renouvelait l’approche de J.-S. Bach. Corboz n’a d’ailleurs pas le geste autoritaire; il l’a suggestif.

A la même époque à peu près parurent les «baroqueux», sensibles aussi aux accents de la phrase musicale, mais parfois trop, d’où un certain maniérisme. Michel Corboz suivit un chemin analogue, mais sans succomber à une mode contraignante et sans mettre la recherche d’authenticité historique à la place du bon goût. Si, par exemple, il n’ignore rien de la saveur des timbres des instruments anciens et y recourt souvent, il ne s’enferme pas dans l’orthodoxie baroqueuse qui nous vaut des cordes parfois finement discrètes mais parfois gémissantes, et il sait faire sonner juste un orchestre du XXIe siècle dans le répertoire du XVIIIe. Il a suivi sa propre voie, selon sa propre vérité.

Il appelle aussi ses choristes à chanter en vérité. La vérité du texte, où l’on murmure le crucifixus en prononçant cloucifixous, comme pour enfoncer les clous dans la Croix. La vérité d’un élan intérieur calqué sur les tensions de la musique, puis d’une quiétude intérieure à l’image de sa paix. La vérité: donc pas d’exagération, pas de théâtre, pas non plus de prétentieuse «marque de fabrique» – et c’est pourquoi son style est malaisément définissable. En somme du naturel, un naturel inspiré.

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