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Le bobo est nu

Jacques Perrin
La Nation n° 1936 9 mars 2012

L’expression «politiquement correct» est devenue inutilisable. Dans la bouche des conservateurs américains, elle a d’abord désigné l’ensemble des règles de comportement imposées sur les campus par les milieux féministes, gays et antiracistes, auxquelles professeurs et étudiants se soumettaient sous peine d’innombrables vexations. Les «minorités» s’unissaient pour prendre leur revanche sur les mâles protestants blancs et anglo-saxons qui les avaient naguère dominées.

Ensuite, elle a signifié «conforme à la pensée unique» et, comme chacun définit les idées dominantes à sa manière, les gens ont commencé à se traiter de «politiquement corrects» à tort et à travers.

Le chanteur français Bénabar, Bruno Nicolini de son vrai nom, fort aimé des «urbains sympas», vient de commettre un nouveau single intitulé «politiquement correct» où il s’enorgueillit précisément de penser ce qu’il faut penser.

Bénabar nous fait savoir qu’il aime les droits de l’homme, les animaux, le tri des déchets, la laïcité, qu’il respecte sa concierge et les gens de peu; il abhorre la guerre, la misère, le racisme, la misogynie, l’homophobie, l’islamophobie, la peine de mort et l’antisémitisme. Dans le refrain, il lance à l’auditeur: «Je suis, je le répète, politiquement correct, mais moi je t’emm…!»

Bénabar adopte en apparence la posture du bourgeois bohème (bobo) ou celle, selon l’heureuse expression de Philippe Muray, du «rebelle de confort». Ses idées sont les plus courantes, celles des pouvoirs en place, mais il les jette à la face du monde à la façon d’un minoritaire en révolte contre le conformisme.

Il se trouve que les milieux médiatiques n’ont pas reçu l’hymne de Bénabar avec autant de faveur qu’on aurait cru. Sa chanson les embarrasse. Bénabar n’a pas suffisamment accentué le côté rebelle. Avec une sincérité non feinte, il a glissé dans sa chanson quelques paroles qui font douter de sa correction politique. Il entonne: «J’aime mes parents, j’aime mes enfants, c’est bien-pensant.» Bien-pensant? A l’ère du divorce de masse, de l’immortel «Familles, je vous hais!», des LGBTIQ et de la monoparentalité, ça ne l’est pas tant que ça! Plus loin: «Ça va te sembler démagogue, mais je déconseille la drogue.» Bénabar n’arrange pas ses affaires. Le vrai bobo appuie la dépénalisation de la consommation des drogues, si elles l’aident à «être performant au boulot» ou à «faire durer la fête». Enfin Bénabar affirme: «Je ne parle pas à ma concierge ni à ma femme de ménage comme à des chiennes.» Il a donc une femme de ménage? Pourtant le rebelle se moque du «propre en ordre»!

Sans sa couronne, son manteau, son carrosse, ses gardes et ses ministres, le roi est nu, c’est-à-dire un homme comme un autre. Avec sa femme de ménage, ses parents bien-aimés, ses enfants à qui il transmet ses «valeurs» et sa détestation des paradis artificiels, le rebelle de confort apparaît tel que nous le pressentions: un bourgeois installé, bien vu des grands de ce monde, ennuyeux peut-être, mais qui n’emm… absolument personne.

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