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OCL: le départ de Christian Zacharias

Jean-Jacques Rapin
La Nation n° 1969 14 juin 2013

Fondé en 1942, fêtant donc ses septante et un ans dans une forme magnifique, l’Orchestre de Chambre de Lausanne vient de vivre un moment important de son existence avec le départ de son directeur artistique et chef titulaire, Christian Zacharias.

Important, parce que riche de signification, tant pour le chef que pour l’orchestre. Christian Zacharias ne l’avoue-t-il pas lui-même? «La décision d’accepter ce poste en 2000 était probablement la décision la plus importante de ma vie artistique.» En effet, en 2000, succédant à l’âge de 50 ans à Jesus Lopez-Cobos, celui qui était connu avant tout comme pianiste prend le risque d’entamer pratiquement une nouvelle carrière, tout en conservant en parallèle son niveau de piano – ce qui était une des conditions de la réussite, mais aussi une gageure impressionnante! Il nous confie même que c’est là sa plus grande fierté.

On nous répondra avec raison que des virtuoses de premier plan comme Edwin Fischer ou, plus proche de nous, Daniel Barenboïm, ont voulu résoudre ce problème de la dualité chef-soliste de la même manière, en occupant les deux fonctions. Car deux fortes personnalités n’ont pas toujours la même conception de l’œuvre à interpréter, et la petite histoire cite quelques exemples où le concerto en question eut à souffrir de tels affrontements.

Interrogé à ce sujet, Ernest Ansermet précisait que le choix d’un soliste se faisait aussi en fonction du choix de l’œuvre, mais qu’en cas de difficulté, il considérait le soliste comme un invité et se comportait en conséquence…

Pour revenir au cas de Christian Zacharias, l’expérience est particulière, à la fois plus profonde et plus risquée, et ce pour les deux parties. Cette longue coexistence de treize années va créer, peu à peu, et au prix d’un travail de longue haleine, une sorte de symbiose orchestre-soliste, que l’on peut considérer comme la construction d’un édifice commun, dans lequel les deux parties apportent le meilleur d’elle-même. De la part du chef, c’est une affaire de volonté et de courage, car une aventure de cet ordre est une opération sans filets. Avec élégance et honnêteté, Christian Zacharias n’oublie pas de rappeler le courage des responsables de l’orchestre qui, à l’époque, ont assumé le risque de nommer un «musicien» de haut niveau plutôt qu’un chef routinier, ajoutant: «Ce courage a été un cadeau précieux: il m’a permis de concrétiser mon ambition pour l’orchestre.»

Une telle expérience est rare, très rare, par sa durée et par sa qualité. Elle a été saluée comme elle méritait, par un succès extraordinaire: l’intégrale des Concertos pour piano de Mozart n’a-t-elle pas reçu quarante récompenses internationales? Cependant qu’elle a aussi – et ce n’est que justice – hissé Christian Zacharias sur le pavois en lui ouvrant les portes d’autres orchestres, en tant que chef invité.

Passons encore à un autre registre, non moins impressionnant. Il s’agit de la mue qu’a connue l’Orchestre de Chambre de Lausanne au cours de ces dernières années, lorsque Christian Zacharias n’a pas craint d’ouvrir son répertoire à un champ plus large que celui qui était réservé jusque là aux ensembles de type Mannheim. A ce sujet, on est frappé, lorsqu’on visite les salles de concerts des palais Lobkowitz ou Rasumowsky, à Vienne, de constater que l’espace existant ne devait pas autoriser des orchestres de plus de cinquante musiciens pour l’exécution des symphonies de Beethoven.

En mettant au programme de ses concerts d’abonnement de telles symphonies, comme aussi celles de Schumann, Christian Zacharias leur a apporté un enrichissement remarquable, en même temps qu’il a appris à son public à écouter ces œuvres avec une oreille différente. L’exécution de l’Ouverture de Coriolan ou de la Symphonie Inachevée n’est pas la même avec un orchestre de cent vingt musiciens, qu’avec l’OCL. Elle n’est ni meilleure, ni moins bonne, elle est différente. Et les musiciens lausannois ont ainsi acquis une culture musicale plus vaste.

Enfin, comme nous le relevions ici même1, l’OCL a connu vingt-trois années de paix sous la conduite de deux chefs exceptionnels, de tempéraments et de charismes très différents, dix ans avec Jesus Lopez-Cobos, treize ans avec Christian Zacharias. C’est pourquoi toute la communauté les unit dans une même et profonde reconnaissance.

Notes

1 La Nation du 22 mars 2013, Une heure musicale exceptionnelle.

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