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Suzette Sandoz: dix ans de NZZ

Félicien Monnier
La Nation n° 1969 14 juin 2013

Durant près de dix ans, Mme Suzette Sandoz a publié une chronique dans la NZZ am Sonntag. L’ancienne conseillère nationale et professeur honoraire de l’Université de Lausanne y traitait, le plus souvent, de sujets d’actualité sur lesquels elle jetait tantôt son regard de politicienne, de libérale, de fédéraliste, de juriste, de mère.

Nous devons à M. Antoine Maillard d’avoir convaincu Mme Sandoz de traduire ses chroniques en français. Cela a permis une publication considérable aux Éditions Cabédita. Une voix claire dans la foule1 recueille plus de cent articles, classés thématiquement.

M. Maillard est l’auteur d’une préface courageuse. Il n’hésite pas à pointer du doigt une opinion publique allergique à sa propre remise en cause, cette dernière étant souvent présentée non seulement comme intellectuellement discutable, mais surtout moralement inacceptable. Nos colonnes font souvent les frais d’un tel rejet politiquement correct. Elles ne peuvent qu’applaudir la posture critique qui caractérise les prises de position de Mme Sandoz.

Ces articles révèlent en filigrane la personnalité intellectuellement dynamique et enjouée de Mme Sandoz. Nous avons la chance de la compter parmi les fidèles de nos Entretiens du mercredi, comme membre du public ou comme oratrice. La lecture d’Une voix claire dans la foule nous a souvent rappelé le ton de ses interventions. Mme Sandoz manie l’ironie avec autant de talent qu’elle sait affirmer le sérieux d’un problème et la gravité d’une cause qu’elle défend.

Nous retrouvons donc sans grande surprise les thèmes politiques qui lui sont chers. La politique familiale, l’organisation juridique de la famille en particulier, occupe une bonne place dans ses réflexions. Sur ces questions, l’autorité et la figure du professeur de droit civil sont incontournables. Picorons quelques exemples.

Mme Sandoz s’en prend notamment à la réforme du nom de famille, imposée par la CEDH de Strasbourg2. Elle décrit avec précision les enjeux de cette réforme qui vit l’égalité entre les conjoints prendre le pas sur l’unité de la famille. Et notre chroniqueuse de dénoncer combien la question du nom de l’enfant a été passée au second plan. En droit suisse, depuis près de 100 ans, l’enfant né d’une femme mariée a pour père le mari de sa mère et porte le nom de famille de cet homme. Il serait bon que le législateur continue d’imposer cette règle qui consacre, pour l’enfant, son droit à une filiation paternelle et assure en un certain sens, l’égalité entre la filiation maternelle, toujours certaine, et la filiation paternelle, jamais certaine. […]. Une seule chose est sûre: le législateur doit se laisser guider dans son choix exclusivement par l’intérêt de l’enfant. L’égalité entre les parents n’est que très accessoire.

Après l’égalité entre les parents de l’enfant, le pas suivant que d’aucuns souhaiteraient franchir est celui de l’égalité entre les sexes dans la parentalité. Autrement dit: la possibilité doit-elle être offerte au couple homosexuel d’adopter un enfant? Mme Sandoz commence par dénoncer l’ambiguïté du terme d’homoparentalité qui suppose un lien de sang avec l’enfant, alors que ce lien ne peut exister qu’au mieux avec un seul des parents. Ensuite, elle réaffirme le but de l’adoption qui est de donner à un enfant un père et une mère. Il appartient à ces derniers de représenter pour lui le couple dont il pourrait être issu. De cette façon, son état civil ne ment pas à l’enfant.

Mme Sandoz replace le débat sur le terrain où il doit avoir lieu: le rejet de l’homoparentalité ne relève pas d’une impossibilité supposée d’amour ou de tendresse de la part des homoparents. C’est un problème d’identité. Comme l’affirme Suzette Sandoz: Une adoption par deux personnes de même sexe équivaut, d’entrée de cause, à refuser à un enfant le droit de croire à ses parents, lui impose de s’interroger sur l’homme et la femme dont il tire son existence, sa nature profonde et sa dignité de personne. La mode actuelle des gender studies s’en prend directement à l’identité sexuelle. Le combat de Mme Sandoz n’est pas encore terminé et oppose maintenant deux clans philosophiques opposés.

Il est un problème très intéressant que Mme Sandoz a identifié dans une chronique intitulée «Égalité et liberté: les inconciliables». Pour Mme Sandoz, la liberté n’a aucun sens si elle n’a pas pour corollaire la responsabilité envers autrui et l’égalité ne rime à rien sans le respect des différences. Cet axiome n’est pas sans ancrer son auteur dans un terreau politique réel et existant. Les conceptions qu’une nation a de la responsabilité personnelle et des égards envers autrui sont une composante des mœurs des habitants de cette nation. Malheureusement, sous les coups de boutoirs de l’égalitarisme, ces mœurs finissent pas se désagréger. La politesse elle-même, que nombre de libéraux voient comme un moyen d’échapper à la boulimie législative et liberticide, finit par s’éteindre ou évoluer.

Égalité et liberté ne paraissent inconciliables qu’au premier abord. Il ne faut pas oublier que, pour les modernes, la liberté de chacun ne peut être garantie que par l’affirmation – et la défense – de l’égalité de chaque homme avec son semblable. C’est ici que le bât blesse. Une tension s’inscrit entre l’un et l’autre. Laquelle n’est arbitrée chez les libéraux que par les mœurs. Mais les mœurs sont inégalitaires. Et l’inégalité est liberticide. M. Regamey disait des libéraux vaudois qu’ils finissaient toujours par donner raison à leur adversaire. Mme Sandoz connaît nos réserves philosophiques.

Nous proposons donc de renverser ce paradigme de réflexion et de défendre notre communauté nationale comme une réalité politique pleine et entière. Les mœurs en sortiront gagnantes. Et tant pis pour l’inégalité, puisqu’une liberté communautaire – exprimée par les mœurs – sera affirmée en faveur de chacune des personnes qu’abrite la communauté. C’est ici la base de notre combat fédéraliste en faveur de la souveraineté du Canton.

Mme Sandoz a toujours été une fédéraliste convaincue. Elle l’exprimait elle-même avec force à propos de la Suisse des régions: Au moment où l’on envisage d’adopter de nouvelles structures politico-administratives, il convient de toujours se demander si elles peuvent, dans la durée, mieux assurer la survie d’une communauté que celles établies, par exemple, depuis 700 ans. Nous n’aurions pas mieux dit! A n’en pas douter, la Ligue vaudoise continuera longtemps à cheminer aux côtés de Mme Sandoz, dans le combat que notre triste air du temps mérite qu’on lui mène.

Notes:

1 Sandoz Suzette, Une voix claire dans la foule, préface d’Antoine Maillard, Éditions Cabédita, Bière 2012, 374 pages.

2 Rappelons à nos lecteurs que ladite réforme du nom de famille est entrée en vigueur au 1er janvier 2013.

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