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Suivez le guide - Un pape, un roi-empereur et des réformateurs

Ernest Jomini
La Nation n° 1969 14 juin 2013

Les promoteurs de la pose de vitraux des années 1930 ont choisi les deux fenêtres au gothique flamboyant construites de la grande travée pour rappeler, grâce au talent du peintre Charles Clément, deux événements très importants qui se sont déroulés dans notre Cathédrale.

Au Nord nous avons au centre du vitrail le pape Grégoire X, revêtu d’une chasuble rouge à croix blanche. Au-dessus de lui, Notre-Dame de Lausanne portant le divin Enfant. En octobre 1275, le pape séjournait en effet à Lausanne et l’évêque Guillaume de Champvent lui demanda de consacrer la Cathédrale dont on achevait la construction. Il ne faut pas penser que le pape était venu exprès de Rome à Lausanne, petite ville de cinq mille habitants, pour accomplir cet acte liturgique. Le pape se trouvait là pour une grande conférence diplomatique. Le souverain pontife avait assisté dès 1274 au Concile de Lyon. Pour retourner en Italie, il avait fait un crochet par Lausanne afin d’y rencontrer l’autre personnage important de la chrétienté, le roi Rodolphe de Habsbourg, qui était à la tête du Saint- Empire romain-germanique. On le voit sur le vitrail tout en haut à gauche coiffé de sa couronne.

La présence de ces deux grands personnages accompagnés de leurs suites devait être assez impressionnante aux yeux des Lausannois de l’époque. Grégoire X avait de grands projets qu’il voulait partager avec Rodolphe. Tout d’abord, il désirait faire la paix avec le chef du Saint- Empire, après les luttes farouches qui avaient opposé les deux pouvoirs du XIe au XIIIe siècle. Il entendait parvenir à la réconciliation avec l’Église orthodoxe d’Orient dont les représentants étaient venus au Concile de Lyon. Il avait aussi l’intention de reprendre la Croisade pour libérer les lieux saints de Palestine. Pour tout cela, il avait besoin de l’appui impérial. Quant à Rodolphe de Habsbourg, il était prévu qu’il franchirait les Alpes au début de février 1276 et recevrait à Rome la couronne impériale. Or, le pape mourut au début de janvier et le plan élaboré à Lausanne tomba à l’eau. Bien que chef incontesté du Saint-Empire, nommé par la Diète, Rodolphe de Habsbourg ne coiffa jamais officiellement la couronne impériale. Il nous est arrivé de nous faire reprendre par des touristes allemands parce que nous avions parlé de l’empereur Rodolphe.

Tournons-nous maintenant vers la fenêtre de la façade Sud. Le vitrail nous présente au centre, revêtu de sa robe noire de pasteur, le réformateur vaudois Pierre Viret qui brandit la Bible, Parole de Dieu. C’est le rappel de l’autre grand événement historique qui eut lieu dans la Cathédrale: la Dispute de Lausanne. En janvier 1536, les Bernois s’étaient lancés à la conquête du Pays de Vaud. En mars, ils avaient déclaré la guerre à l’évêque de Lausanne et le prélat avait fui sa résidence épiscopale pour se réfugier en Savoie. Le problème politique était réglé, mais pas le problème religieux posé par le fait que les nouveaux Souverains avaient accepté la Réforme en 1528 et qu’ils entendaient bien entraîner leurs nouveaux sujets vaudois à les suivre dans leur rupture avec l’Église catholique romaine.

Pour préparer les esprits à ce changement de religion, les Bernois organisèrent une Dispute, c’est-à-dire une rencontre de style académique où les théologiens discuteraient des thèses émises par les Réformateurs. C’est Pierre Viret et Guillaume Farel qui avaient rédigé les thèses formulant les principales affirmations de la foi nouvelle. Ce sont eux qui furent surtout sur la brèche. Calvin, qui était venu de Genève en renfort – on le voit de profil à droite sur le vitrail – se contenta de brèves interventions.

LL.EE. avaient convoqué les trois cent trente-sept ecclésiastiques du territoire nouvellement conquis. Un peu plus de la moitié se présentèrent à la Cathédrale le 1er octobre 1536. Berne avait désigné pour présider la Dispute Jean-Jacques de Watteville, un des deux avoyers de la ville souveraine. Il était secondé par les baillis d’Echallens et de Lausanne et par le théologien Megander et assisté par quatre secrétaires qui constituaient en quelque sorte le bureau de la Dispute. Quatre notaires rédigeaient les procès-verbaux.

La séance commença par un épisode inattendu: les chanoines, qui formaient le chapitre de la Cathédrale, firent une entrée solennelle. Et l’un d’eux, le chanoine Pierre Perrin, lut une longue déclaration aux noms de ses confrères. Ils reconnaissaient que les thèses des Réformateurs soumises à discussion abordaient des problèmes théologiques qu’il était légitime de soulever. Mais, déclaraient-ils, il ne leur était pas permis d’en discuter ici. Le Concile en préparation (il se réunira à Trente en 1545) était seul à même de traiter et résoudre les graves questions que les Réformateurs avaient inscrites au programme de la Dispute. Sans le dire expressément, les chanoines contestaient la compétence du pouvoir politique bernois à trancher en matière de foi. Peut-être Pierre Viret a-t-il pensé à cette déclaration du Chapitre lorsque LL.EE, quelques années plus tard, l’obligeront à prendre le chemin de l’exil parce que ses positions théologiques et ecclésiastiques n’étaient plus en accord avec celles du pouvoir bernois.

On peut regretter que les ecclésiastiques catholiques présents ne se soient pas rangés à la sage position des chanoines. Quatre prêtres ou religieux entrèrent en discussion sur les thèses élaborées par Viret et Farel. Ils ne faisaient pas le poids face aux Réformateurs, brillants théologiens rompus à ce genre de disputes. Chose étrange: c’est un laïc, le médecin Blancherose, qui intervint à plusieurs reprises pour défendre la foi traditionnelle. Les catholiques se seraient bien passé d’un tel défenseur. Le chroniqueur Pierrefleur le dépeint ainsi: «Homme tenant de la lune et fort fantastique, lequel en ses disputes mêlait la médecine avec la théologie et faisait (provoquait) incontinent à rire.» Mais Blancherose mettra du piment à la Dispute qui, sans lui, aurait été peu animée.

La Dispute prit fin le dimanche 8 octobre. Il n’y eut pas de vote du clergé présent. L’avoyer de Watteville se mit en route dès le lendemain pour rendre compte à LL.EE du déroulement des débats tenus en la Cathédrale. A Berne on ne traîna pas: le 19 octobre déjà fut publié le premier Édit de Réformation qui abolissait le culte catholique sur tout le territoire vaudois dont les Bernois étaient devenus les maîtres.

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