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Actualités  |  Mardi 16 mars 2021

Le livre a-t-il un avenir à long terme?

Le directeur de Payot, M. Pascal Vandenberghe, vient de publier aux Editions de L’Aire un ouvrage intitulé Le Funambule du livre. Il s’agit d’un entretien avec Christophe Gallaz, suivi d’un essai, La librairie est un sport. C’est à la fois l’histoire d’une réussite entrepreneuriale dans le monde chahuté du livre et le témoignage d’une passion.

L’auteur montre, chiffres à l’appui, que le livre traditionnel résiste bien aux coups qu’il reçoit de tous les côtés: hypermarchés qui en font un produit comme un autre, tentation constante des éditeurs, des diffuseurs et des libraires de rationaliser et de centraliser, obsession du bestseller, baisse de l’enseignement, désaffection (pas certaine) des lecteurs, etc. Pour ce qui est de la liseuse, censée remplacer le livre imprimé, «le tsunami annoncé s’est révélé une modeste vaguelette». Pratique pour des lectures légères ou techniques, cette tablette est moins propice à la littérature, privant le livre de tous les éléments qui le personnalisent et encadrent la lecture, le format, la reliure, le papier, la typographie, le poids et l’odeur, la dédicace, etc.

Que réserve l’avenir? Dans les perspectives des transhumanistes, en tout cas, le livre numérique ne représente qu’un tout petit premier pas dans la dématérialisation du livre. Imaginons. L’élève de demain arrive au «Laboratoire de lecture instantanée», donne son matricule et s’installe dans un fauteuil de dentiste. Des boucles de métal enserrent son col, ses bras et ses chevilles. On lui place des électrodes sur le crâne, on pèse sur un bouton et, hop, il a toute la littérature du monde dans la tête, en langue originale et en traduction. En fait, il n’aurait même pas besoin de la traduction, puisqu’il y a une semaine, on lui a déjà implanté toutes les langues. La semaine prochaine, on complètera avec un chercheur de citations dont les algorithmes réagissent en temps réel à la conversation. Que de temps gagné et d’efforts évités dans l’acquisition des connaissances, diront les transhumains!

Sauf que ce serait une erreur de parler de «connaissances» alors qu’il s’agit d’un simple transfert de données. Ces données restent étrangères au petit élève, qui n’en est que le support matériel. Elles sont en lui à la manière d’un kyste. Acquérir d’authentiques connaissances demande justement de prendre du temps, pour méditer ce qu’on lit, pour revenir en arrière, pour en parler avec d’autres, pour relire plus tard le même livre… qui ne sera plus tout à fait le même. Et cela demande aussi un effort (bien léger) pour s’approprier physiquement et mentalement la matière qui nous vient de l’extérieur, pour la faire nôtre, la digérer et la laisser se déployer en nous. C’est cela que le livre imprimé continuera de nous offrir, et qui nous permet d’espérer sa pérennité.

(Olivier Delacrétaz, 24 heures, 16 mars 2021)