Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

André de Ribaupierre

Jean-François Cavin
La Nation n° 2076 4 août 2017

Antonin Scherrer poursuit le récit de la destinée de la famille de Ribaupierre, qui a fait fleurir les arts – la musique, la peinture… et plus tard la bande dessinée! – dans notre pays et sous bien d’autres cieux. Fleurir: le mot s’impose, puisque le père des artistes qui ont illustré la première moitié du XXe siècle, issu de la noblesse alsacienne, était féru d’art floral et s’est établi comme horticulteur sur la Riviera. Ses enfants ont cultivé d’autres talents...

Après nous avoir narré la vie et l’œuvre d’Emile, violoniste, chef d’orchestre, compositeur et enseignant, A. Scherrer publie maintenant, sur la base d’archives familiales encore inexploitées, un second ouvrage consacré à André, violoniste lui aussi, et quel violoniste! Les deux virtuoses en puissance ont bénéficié, dès leur jeune âge, de la présence à Montreux du Polonais Gorski, excellent professeur. Et c’est Gorski qui recommanda André à son compatriote et ami Paderewski, au prestige souverain dans le monde entier, que le jeune artiste (il n’avait que 16-17 ans) alla trouver à Riond-Bosson et dont il sut capter l’attention et mériter la louange. «Pade» le recommanda à ses relations, et voici le jeune virtuose propulsé dans le monde musical international. En 1910, il joue à Londres, en Alsace, en Allemagne. Il participe à une tournée, avec d’autres musiciens, à travers l’Angleterre et l’Ecosse. Puis c’est de nouveau l’Allemagne, puis… l’Australie, en tournée collective; et, tant qu’à faire puisqu’on est aux antipodes, la Nouvelle-Zélande. Entre deux voyages, il enseigne dans les conservatoires familiaux à Montreux, à Lausanne, puis aussi à Vevey, ainsi qu’au Conservatoire «public» de Lausanne, et s’adonne à l’alpinisme, son autre grande passion. C’est alors qu’il gravit le Cervin pour la première fois (d’autres ascensions de la mythique montagne suivront) avec son violon sur le dos, dont il tire quelques morceaux arrivé au sommet; épisode fameux immortalisé par la photographie de son compagnon de cordée et de musique Paul-Emile Blanchet, qui dirigea le Conservatoire de Lausanne.

Les Etats-Unis d’Amérique, il les découvrira un peu plus tard (1919) en allant perfectionner son art auprès d’Eugène Isaÿe, qu’il avait entendu et admiré sur les bords du Léman dès son jeune âge. Le grand violoniste belge, référence suprême à l’époque, fuyant son pays durant la Grande Guerre, s’était installé à Cincinnati, où il dirigeait le Conservatoire et l’orchestre symphonique. André de Ribaupierre fut son disciple, puis son collaborateur pendant trois ans – tout en enseignant, en se produisant, en fondant un quatuor – avant de succéder à son maître, quand celui-ci rentra en Belgique, à la tête de l’institut de musique. Sa vie américaine, en compagnie de sa famille autant que possible (il s’était marié en 1921 et les époux eurent deux filles), le conduisit ensuite au Conservatoire de Cleveland, fondé et dirigé par le compositeur suisse Ernest Bloch, puis bien plus tard à Rochester, dans un institut supérieur de musique fondé et richement doté par Eastman, l’industriel de la photographie.

André de Ribaupierre, entre ses périodes américaines et ses tournées internationales, n’a jamais perdu le contact avec la Suisse romande. Il s’y est souvent produit en soliste (notamment avec l’OSR) et en «chambriste» (en particulier en duo avec Jacqueline Blancart durant vingt ans, ainsi qu’avec Clara Haskil); il y a fondé un quatuor à la belle destinée. Il a enseigné sur les bords du Léman… et sur les hauteurs du Val d’Hérens, la famille (en particulier son frère François, le peintre) s’étant enamourée des Haudères et lieux circonvoisins. C’est là qu’il organisa et conduisit, pendant plus de vingt ans, un camp de musique de réputation internationale (on y venait d’Outre-Atlantique), où il tenait à monter chaque été, même lorsqu’il vivait principalement aux Etats-Unis!

A la lecture de cette biographie et de la correspondance d’André de Ribaupierre qui la nourrit, deux impressions au moins s’imposent à l’esprit. La première, c’est l’étendue du répertoire de ce musicien. Il existe, dit-on, des virtuoses qui bâtissent leur carrière sur la répétition infinie de quelques concertos. Rien de cela chez notre personnage qui s’intéressait à presque tout et qui servait de son grand talent Bach (la Chaconne était une de ses pièces favorites) comme des contemporains (Hindemith, Stravinski, Nin, etc.), les auteurs des grands concertos (Mozart, Beethoven, Mendelssohn, Brahms) comme ceux des plus merveilleux quatuors (avec plusieurs intégrales de ceux de Beethoven), les Allemands comme les Français (Roussel, Fauré, Debussy, Ravel) et comme les Suisses (Schoeck, Honegger, Binet, Martin, Bloch, Wissmer… et Emile de Ribaupierre, bien sûr, dont les Suites Montagnardes ont résonné sous bien des cieux!). Il s’abstenait seulement de jouer les compositeurs modernes qui martyrisent l’instrument, lui qui considérait que le violon était fait pour exprimer l’essence même de la mélodie.

La seconde impression est celle d’un homme qui, comptant parmi les plus grands violonistes de son temps et reconnu comme tel, ayant rencontré des génies comme Ravel et Bartók, a toujours conservé une parfaite simplicité, voire une certaine humilité. Il travaillait toujours et cherchait à faire mieux encore. Et son amour de la montagne, son affection pour la «tribu» des Ribaupierre, sa gentillesse envers ses élèves, tout concourt à faire de lui une personne hostile au clinquant et amie des choses vraies, de la pureté des sentiments, de l’art vécu dans la profondeur de l’âme.

Référence:

Antonin Scherrer, De Ribaupierre, une famille au service de la musique, tome 2: André. Editions Infolio, 240 pages richement illustrées.

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*


 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation: