Des chiffres et des doigts
Cela fait des années qu’on se moque de ces commerçants benêts qui se croient obligés d’afficher le mot «sale» sur leurs vitrines, sur leurs publicités et sur leurs produits. Mais c’est peine perdue, car ces gens ne s’inquiètent pas d’avoir l’air ridicule, du moment qu’ils continuent à vendre et que d’autres sots continuent à acheter. Récemment, l’officine de communication d’un vendeur de vêtements de sport s’est adressée à nous en ces termes tout empreints de civilité: «Salut Machin! Tu as envie de nouveautés à petits prix? Jette un coup d’œil à notre catégorie sale!» C’est sûr que ça fait envie…
Heureusement, il existe des anglicismes moins laids, plus distingués, aux confusions plus subtiles. Ainsi en va-t-il du fameux adjectif digital qui, en bon français, se rapporte au doigt et pas au nombre, mais que le monde moderne, intensément informatisé et anglo-saxonnisé, persiste néanmoins à utiliser dans le sens de numérique. Or, nonobstant ce que nous montrent les séries TV, toute empreinte digitale n’est pas automatiquement numérique.
Certains rédacteurs pris en faute ont l’impression que ce n’est que pinaillerie. Mais l’encyclopédie en ligne Wikipedia, qu’on ne peut guère soupçonner de pédanterie réactionnaire, affirme elle-même que «le passage dans le langage courant de “digital” en lieu et place de numérique est dû à un manque de culture informatique et probablement de connaissance de la langue anglaise […]. Cette utilisation erronée se retrouve dans certains événements commerciaux comme la “Journée de la femme digitale”.»
Une femme digitale, c’est tout simplement une femme qui a des doigts – ce qui est tout de même assez fréquent et ne justifie pas qu’on en fasse un symposium.
On retiendra en outre (toujours selon Wikipedia) que les digitales (genre Digitalis) représentent «environ vingt espèces de plantes herbacées classiquement placées dans la famille des Scrofulariacées. […] Ces plantes peuvent être très toxiques.»
Toxiques peut-être, mais pas numériques pour autant.
On peut en extraire de la digitaline, aussi appelée digitoxine, qui est un glycoside cardiotonique – cardiotonique peut-être, mais pas numérique pour autant.
Conclusion céleste: lorsque le sage montre le doigt, l’informaticien anglophone est dans la lune
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- Un mécanisme de maximalisation – Editorial, Olivier Delacrétaz
- L’Europe des surprises de Bertil Galland – Jean-Blaise Rochat
- Le président de l’UVAM dérape – Félicien Monnier
- L’enracinement, une nécessité anthropologique – David Rouzeau
- 7 – Frédéric Monnier
- Souvenir de non-voyage – Olivier Delacrétaz
- Vers des paroisses dépouillées – Cédric Cossy
- Le bobo en coloc’ – Félicien Monnier
- André de Ribaupierre – Jean-François Cavin
- Le tabac en Suisse – René Rey
- Deuxième édition du concours de poésie française – Daniel Laufer