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Actualités  |  Mardi 14 juin 2016

La pensée s'accomplit dans l'écriture

Deux fois par mois, vous livrez un billet à 24 heures et l'on vous dit que vous avez de la chance de pouvoir diffuser vos idées par ce biais. Certes, sauf qu'écrire, ce n'est pas simplement dérouler ses «idées» telles quelles sur le papier. En réalité, une bonne partie de l'idée se fait au cours de la rédaction.

Tant que l'idée tourne dans votre tête, vous pouvez vous satisfaire d'impressions fugitives et de mots imprécis. Mais quand vous écrivez, c'est pour transmettre quelque chose à quelqu'un et cela vous oblige à être accessible. Vous devez trouver une expression claire, utiliser des mots exacts et une grammaire sans détour, de manière à soutenir le rythme de la lecture. Il vous faut épurer l'idée de tous les éléments parasitaires qui l'accompagnent et fermer les voies de traverse qui dérouteraient l'éventuel futur lecteur. Il faut choisir et sacrifier pour mieux dégager l'essentiel.

Quand vous écrivez et que vous déposez votre idée sur le papier, elle se sépare de vous et attend, immobile, votre jugement. Vous pouvez alors la contempler à distance et la critiquer comme celle d'une tierce personne, la comparer à votre intuition première et la corriger sans prendre de gants. Il peut même vous arriver de tout biffer et d'aller vous promener, parce que le seul fait d'écrire a mis en lumière l'inanité de ce que vous pensiez être une géniale intuition.

Il existe mille manières d'écrire. Certains, doués et chanceux, écrivent comme ils respirent, réglant sans même y penser toutes ces questions psycho-méthodologiques. D'autres, vous en êtes, remettent leur ouvrage cent fois sur le métier, au point que leurs articles sont constitués d'une suite sans fin de repentirs.

La difficulté se corse de ce que la longueur de votre texte est strictement fixée à 2750 caractères, signes et espaces, à dix près. Dès lors, vous êtes contraint à une cuisine inimaginable. Vous jonglez avec les mots, intervertissez les paragraphes, supprimez un adverbe, en modifiez un autre, remplacez un substantif par un synonyme plus court. Une jolie formule est devenue encombrante: vous la jetez. Une image amusante surgit du voisinage imprévu de deux mots: vous l'ajoutez. Il vous faut alors revoir l'équilibre de l'ensemble: la conclusion n'est-elle pas trop longue, ou l'introduction trop courte? Et ainsi de suite, cependant que l'heure tourne.

Et puis, peu à peu, malgré – certains diront «grâce à» – ces contraintes arbitraires, au fil des empoignades formelles et des incertitudes vaincues, vous voyez votre texte prendre forme et, du même coup, votre intuition d'origine devenir, enfin, une idée transmissible. Et l'article est réussi si le lecteur n'imagine rien de tout ce qui précède et pense que vous l'avez rédigé d'un seul jet.

(Olivier Delacrétaz, 24 heures, 14 juin 2016)