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Le pouvoir public face aux brutes

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1899 8 octobre 2010
Ça se passe à Bel-Air, au centre de Lausanne. Un jeune homme tombe d’un balcon et s’écrase sur le sol. Une ambulance arrive. Ses occupants sont pris à partie par une foule hostile qui leur lance des projectiles. On doit faire appel à «un important dispositif policier» pour les protéger.

Personne n’est arrêté, ni même interpellé. Le chef du groupe sanitaire du SMUR (Service mobile d’urgence et de réanimation) déclare à la presse que les attaques de ce type «n’ont augmenté ni en fréquence ni en intensité depuis l’été 2009.» Cette déclaration est-elle censée nous rassurer? En quoi la stabilité d’un comportement inadmissible devrait-elle calmer l’indignation ou les craintes de la population? Vous recevez une bouteille sur la tête? Ce n’est pas grave, l’événement n’a pas modifié la statistique!

M. Marc Vuilleumier, municipal de Police, affirme qu’«il faut arrêter de penser que les représentants des services publics sont des salauds en puissance.» Il ferait mieux de nous dire quand et comment il va s’occuper des salauds en acte!

Certains veulent expliquer ce comportement par la «haine de l’uniforme», l’abus d’alcool ou l’effet de masse. Ces explications n’expliquent pas grand chose. Une explication suppose des relations de cause à effet identifiables. Ainsi, le toxicomane qui arrache le sac à main d’une dame, les malfrats lyonnais qui défoncent une vitrine de bijouterie à coup de Volvo, l’héritier qui fait passer un vieil oncle fortuné de vie à trépas sont, à des degrés divers, des canailles, mais leurs actes ont un sens. S’en prendre à des secouristes en train de faire leur travail n’en a aucun. On est ici devant un cas de violence brute, une violence qui est à elle-même son propre motif, qui peut naître n’importe où et n’importe quand et ne connaît d’autre limite que celles qu’on lui fixe de l’extérieur. A ce stade de sauvagerie, une explication qui se veut raisonnable ne peut qu’induire en erreur. Politiquement, d’ailleurs, il importe peu de savoir que les porteurs de violence étaient ivres, haïssaient l’uniforme ou n’étaient que de simples suiveurs. Ces diagnostics aventureux et vaguement excusatoires ne font que détourner de la seule question qui se pose: l’ordre dans les rues étant la condition matérielle de l’exercice des libertés, quelles mesures d’urgence faut-il prendre pour que ces actes ne se reproduisent pas?

Cette question se pose prioritairement en termes de répression policière. Or, comme on le constate à chaque échauffourée, tout ce qui touche à la répression policière directe engendre un blocage psychologique total chez nos hommes politiques. C’est tout particulièrement le cas à gauche, où l’on prône par principe une approche minimaliste de la violence. Contre toute évidence, les gens de gauche ne veulent voir dans l’événement de Bel-Air qu’un acte, certes répréhensible, mais commis par des personnes qui sont, dans le fond, certainement raisonnables et désireuses de bien faire. Ils sont certains qu’on pourrait leur expliquer les choses et les ramener sur le droit chemin au moyen de mesures éducatives dispensées par des professionnels.

Est-il nécessaire d’ajouter que cet angélisme trouve toujours un écho complaisant dans le souci de confort intellectuel et moral à court terme qui obsède le bourgeois moyen?

Pour cette fois, la folie collective a déferlé alors que la victime de la chute était déjà décédée. Mais que se passera-t-il lorsque des excités du même genre empêcheront à coups de battes la réanimation d’un blessé ou l’extinction d’un incendie d’autobus? Quelles subtiles explications psychologiques ou sociologiques donneront nos politiciens? Quelles statistiques invoqueront-ils pour minimiser l’affaire?

Le problème n’est pas tellement le renforcement de la loi. Le droit existant suffit pour qui veut l’appliquer. Le problème est que pour être efficace, la sanction de tels actes doit suivre instantanément leur commission. La violence physique irrationnelle doit déclencher sans délai une contre-violence proportionnée, non moins physique, de la part des pouvoirs publics.

Avant toute explication intellectuelle et toute incitation morale, le primitif tenté de laisser libre cours à la violence qui l’habite doit être intimement persuadé qu’une telle attitude lui vaudra automatiquement une sanction immédiate et douloureuse. Seule cette pédagogie basique est susceptible d’implanter dans sa cervelle quelques-uns des interdits fondamentaux qui rendent possible la vie en société.

Nos policiers ont appris à se conduire dans ce type de situation. A quoi sert-il de les former à la répression et de les pourvoir de mille moyens liquides, gazeux et solides de coercition si la faiblesse des autorités leur en interdit a priori l’usage?

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