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La loi et le courage de l’appliquer

Pierre-François Vulliemin
La Nation n° 1899 8 octobre 2010
Le 14 septembre 2010, les Chambres fédérales ont chargé le Conseil fédéral de «mettre en oeuvre un mode d’accès à l’apprentissage pour les jeunes sans statut légal ayant effectué leur scolarité en Suisse».

Deux communiqués de presse successifs de la CIP (Commission des institutions politiques du Conseil des Etats) ont mis en évidence le caractère insatisfaisant de la situation actuelle et aussi la difficulté de faire mieux.

Le 20 avril 2010, à cinq voix contre cinq, avec la voix prépondérante de son président, la CIP avait proposé au Conseil des Etats d’accepter la motion pour l’accès des «sans-papiers» à l’apprentissage.

Elle reconnaissait «l’existence d’un problème dans l’accès à la formation des sans-papiers», mais souhaitait en même temps «mettre fin à une certaine injustice qui voit des jeunes sans papiers poursuivre des études supérieures mais être empêchés d’accéder à toute formation professionnelle.» La minorité de la CIP considérait quant à elle qu’«adopter la motion contribuerait à rendre le pays plus attractif et constituerait une véritable invite à l’immigration illégale.»1 C’est aussi notre avis, mais ce n’est pas le seul problème.

Retournement inattendu: par un communiqué de presse du 31 août 2010, la CIP revenait sur sa décision précédente et recommandait le rejet de la motion précédemment adoptée.

La nouvelle majorité de la Commission estimait en effet qu’«autoriser les jeunes sans-papiers à faire un apprentissage ne ferait que différer le problème, puisque ces jeunes resteraient en situation illégale et, à la fin de leur apprentissage, n’auraient pas accès au marché du travail. Comme le Conseil fédéral, cette majorité estime qu’il serait possible, dans le cadre des dispositions légales en vigueur, de trouver des solutions pour les cas individuels d’une extrême gravité. Dans ces cas, la présence d’enfants scolarisés constitue un critère très important, voire déterminant pour accorder une autorisation de séjour. La majorité de la commission verrait donc une solution possible dans une éventuelle régularisation, au cas par cas, des jeunes «sans-papiers».2

C’était faire preuve d’une lucidité qui n’a hélas pas servi à grand-chose. En effet, comme on l’a vu, le Conseil des Etats finit tout de même par adopter la motion en question. On imagine déjà que, lorsqu’ils auront obtenu leurs diplômes, les titulaires d’un CFC entrés illégalement en Suisse seront rapidement autorisés à y travailler légalement. C’est en tout cas conforme à la direction générale qui a été prise.

Dans ces mêmes colonnes, Olivier Klunge écrivait à raison, à propos d’une affaire semblable: «Toute loi, par le fait qu’elle applique des règles générales et abstraites à des cas concrets, peut apporter une rigueur excessive dans des situations particulières. Cette rigueur injuste doit être corrigée en équité. Nos autorités entrent ainsi en matière, au cas par cas, et dans le cadre d’une procédure longue et minutieuse, sur des demandes d’exception aux conditions d’octroi de permis pour des personnes particulièrement bien intégrées et indépendantes financièrement. Cette politique discrète et nuancée est sans doute la moins mauvaise réponse à cette situation humainement difficile.»3

La racine du mal se trouve dans le fait de ne pas effectuer rapidement les renvois de personnes séjournant illégalement sur notre territoire. Cette extrême faiblesse politique nous contraint à prendre toute une série de décisions qu’on n’ose à peine qualifier de morales, tant elles sont peu libres.

 

NOTES:

1 Communiqué de presse de la Commission des institutions politiques du Conseil des Etats, «Oui à l’apprentissage pour les “sans-papiers”» – 20 avril 2010.

2 Communiqué de presse de la Commission des institutions politiques du Conseil des Etats, «Pas d’accès garanti à l’apprentissage pour les “sans-papiers”» – 31 août 2010.

3 Olivier Klunge, «Sans papiers sans travail», in La Nation n° 1883 – 26 février 2010.

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