Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

La vulgarisation de l’histoire

Bernard Stalder
La Nation n° 1899 8 octobre 2010
Mercredi 29 septembre, M. François Jequier, professeur honoraire d’histoire contemporaine, est venu dans nos locaux parler de la vulgarisation historique. Les quelques lignes qui suivent prolongent la discussion.

La vulgarisation est-elle la forme vertueuse de la démocratisation? Alors que la «démocratisation des études» cherche à susciter la connaissance dans le plus grand nombre, en particulier chez les récalcitrants, la vulgarisation de l’histoire répond à une forte demande du public. Revues, grandes synthèses, réédition d’historiens historiques comme Michelet ou Gibbon connaissent un grand succès. Dans un domaine comme l’histoire, cette transmission du savoir des chercheurs vers les dilettantes avides est essentielle. En médecine ou en physique, on conçoit que la guérison ou la manipulation heureuse d’un interrupteur électrique soient largement satisfaisantes sans qu’il soit nécessaire d’être initié aux miracles qui s’y opèrent. Quel serait l’intérêt d’une histoire confinée aux cénacles universitaires ou réduite à la quête compulsive d’archives en concurrence avec les mites? Force est de constater qu’un vaste champ s’ouvre entre les différents écueils que sont la dissertation de détails, l’histoire globale et les patchworks d’encarts et de paragraphes, aussi insipides qu’une nourriture équilibrée distribuée en comprimés, autrement dit, sans souffle littéraire.

Une bonne vulgarisation doit être érudite, honnête et bien écrite. Les auteurs de la première moitié du XXe siècle restent des références en la matière. Léon Homo vous transporte sur les éléphants d’Hannibal comme si vous y étiez. René Grousset a publié une somme probablement inégalée sur les croisades aussi bien qu’un ouvrage de vulgarisation où l’épopée romanesque ne cède en rien à la rigueur. On ne présente plus Jacques Bainville ou Pierre Gaxotte.

Est-ce de l’histoire de grand-papa? Sans se faire chevalier de l’anticommunisme, il faut bien constater que la Guerre Froide a fortement instrumentalisé l’histoire à des fins idéologiques. La chute du mur de Berlin a lézardé les fronts de pensée autrefois si confortablement définis. Première convulsion de ce désarroi identitaire au niveau Suisse, le rapport Bergier, sur la polémique duquel nous ne reviendrons pas. Ces dernières années, plusieurs auteurs(1-5) de formation universitaire ont tenté de combler le vide en matière d’histoire Suisse, marqué notamment par l’attente de manuels scolaires en gestation depuis des décennies. Au vu du succès éditorial et commercial cela semble réussi.

L’histoire est-elle indissociable de l’idéologie en nos temps d’objectivité retrouvée, l’odieux marxisme étant bien évidemment relégué aux musées de la pensée? L’école constructiviste affirme qu’«il n’y a pas d’histoire, il n’y a que des historiens». Ce courant épistémologique très en vogue postule que notre représentation du monde est la résultante de l’influence de notre milieu social, géographique, de notre tranche d’âge, de notre sexe, des rencontres et aléas de l’existence qui ont progressivement «construit» ce que nous pensons. En particulier, les mythes, soit les constructions collectives, sont soumis à un véritable désossage en termes de déconstructions, reconstructions et autre décryptages. Une terminologie «la prosopographie» a même été crée pour désigner l’étude biographique des milieux politiques en fonction du contexte social. Qui se souvient de ses balbutiements intellectuels à l’émergence de l’adolescence revit la petite humiliation d’admettre qu’il pensait d’abord comme ses parents. La confrontation à ses limites est pour beaucoup l’aiguillon qui a donné envie d’en savoir plus, en particulier par l’achat et parfois la lecture d’ouvrages de vulgarisation historique. Quel intellectuel n’est-il pas tenté de se dire en lui-même: «je pense par moi-même, les autres certainement pas»? Un constructivisme outrancier ne confine-t-il pas au relativisme, abolisseur de toute science? Ce débat rejoint la controverse séculaire de St-Augustin à Schopenhauer en passant par la Renaissance: le libre-arbitre. Terminons par cette citation de l’historien Joseph Rovan: «Les hommes et les peuples sont en même temps produits de leurs antécédents (êtres, situations, idéologies) et libres d’être eux-mêmes. Il y a à la fois continuité d’un caractère, d’une nature, et solutions de continuité. Des changements sont possibles, mais non “le” changement.»

 

NOTES:

1 L’histoire suisse en un clin d’oeil de Joëlle Kuntz, Genève, Editions Zoé, 2006.

2 Histoire suisse de Grégoire Nappey, Le Mont-sur-Lausanne, LEP, 2007.

3 L’histoire de la Suisse pour les Nuls de Georges Andrey, Paris, First Ed., 2007.

4 La série en cinq tomes Histoire suisse de François Walter, Neuchâtel, Ed. Alphil, 2009.

5 Tell me: la Suisse racontée autrement de Dominique Dirlewanger, Lausanne, ISSUNIL, 2010.

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*


 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation: