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LEO par l’absurde

Cédric Cossy
La Nation n° 1921 12 août 2011
Supposons que, par un aveuglement incompréhensible, le peuple vaudois non seulement refuse l’initiative «Ecole 2010», mais accepte le contre-projet de Loi sur l’enseignement obligatoire (la LEO de Mme Lyon). Les Vaudois se retrouveraient avec deux cycles primaires1 de quatre ans (le premier pour les élèves de quatre à huit ans, le second pour ceux de huit à douze ans) et un cycle secondaire de trois ans (pour les élèves de douze à quinze ans). Dans le cycle secondaire, les élèves sont répartis en deux voies, gymnasiale et générale. La voie générale propose deux niveaux pour l’enseignement des maths, du français et de l’allemand (niveau 1 = exigences de base, 2 = exigences supérieures). Une option de compétence orientée métiers s’offre aux élèves de générale; mais, pour autant qu’ils fréquentent un niveau 2 dans l’une ou l’autre des trois branches, ils peuvent choisir, tout comme leurs camarades de la voie gymnasiale, une des quatre options spécifiques, soit italien, latin, maths & physique ou économie & droit. Les élèves suivant le niveau de base dans les trois branches principales (stigmatisés «111») sont en revanche obligatoirement astreints à l’option de compétence orientée métiers et à un enseignement consolidé.

Voici pour la théorie. Mais qu’en sera-t-il de la réalité? Nous livrons ci-après trois scénarios fictifs mais probables illustrant quelques difficultés de mise en pratique.

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Cet établissement scolaire de taille modeste compte entre quatre et cinq classes par volées en deuxième cycle primaire. Pour le directeur et le doyen en charge du degré secondaire I, le moment est venu d’organiser les programmes pour la première volée de neuvième (une huitantaine d’élèves) selon la nouvelle LEO.

Les cinq amateurs latinistes de voie gymnasiale seront scolarisés dans la ville voisine. Ils ne pourront plus rentrer à la maison pour le repas de midi et perdront une heure chaque jour en raison de la mauvaise synchronisation des horaires ferroviaires et scolaires. Mais les parents ont été dûment informés et n’ont qu’à assumer leur responsabilité.

L’effectif restant sera réparti en deux classes de voie gymnasiale et deux de voie générale. Après application du règlement sur les critères d’orientation, on compte douze «111», auxquels il faut ajouter quatre élèves en niveau 1 en allemand, cinq en français et quatre en maths. Le total des élèves fréquentant au moins un niveau 1 est de vingt et, par souci d’homogénéité, il a été décidé de les grouper dans la même classe. Ceci n’évitera toutefois pas la nécessité d’aligner les enseignements des branches à niveaux dans les grilles horaires des deux classes de générale.

Sur les septante élèves non «111», quinze ont choisi l’option de compétence orientée métiers, vingt-quatre les maths & physique, quinze l’italien et seize l’économie & droit. Au vu de ces effectifs, il y aura donc cinq sous-groupes pour les options, la préparation aux métiers devant être dédoublée. A nouveau, les contraintes de la grille horaire exigent que l’enseignement des différentes options soit simultané. Mais cette contrainte, ajoutée à la nécessité de l’alignement horaire des niveaux en voie générale, implique de facto l’alignement de ces mêmes branches en voie gymnasiale!

Le doyen se gratte la tête: il ne dispose que de deux enseignants en mathématiques, alors que trois au moins sont indispensables à certaines périodes. Le même problème a été providentiellement évité pour l’allemand et le français grâce aux compétences d’une enseignante dans ces deux langues. Mais la polyvalence salvatrice de cette personne ne sera pas récompensée: appelée à boucher les trous, son planning hebdomadaire ressemble à de la dentelle de Bruges.

Le directeur, quant à lui, désespère de pouvoir organiser l’option de compétence orientée métiers. Les instructions du Département à ce sujet sont arrivées très tard et il ne lui reste que trois mois pour trouver dans la région un maître d’apprentissage (avec brevet fédéral de formateur) pour animer deux heures hebdomadaires sur l’estime de soi et les fondamentaux de la lettre de motivation. Malgré de nombreux téléphones à ses confrères du Kiwani’s local, il n’a essuyé que des refus polis. C’est mal parti et l’option risque de se limiter à des cours de rattrapage en orthographe et en règle de trois…

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En huitième année, le jeune Gino était un élève appliqué, mais progressant lentement. A la fin du deuxième cycle primaire, il a été orienté en voie générale. Comme il sait assez bien compter, il fréquente le niveau 2 en mathématiques mais, un peu défavorisé par la pratique quotidienne de l’italien dans son milieu familial, il doit se contenter du niveau 1 en allemand et en français. Cette combinaison lui laissant accès à toutes les options spécifiques, Gino a, par facilité, choisi l’italien.

Mais, en neuvième, Gino commence à s’intéresser beaucoup plus aux filles qu’à ses devoirs de maths. Après un semestre, le constat semble sans appel: Gino n’a pas acquis les compétences pour poursuivre en niveau 2 et doit être muté en niveau 1 de mathématiques. Ce faisant, Gino devient un «111» et doit à ce titre obligatoirement fréquenter l’option de compétence orientée métiers. Pour des questions d’horaire, la poursuite des leçons d’italien devient impossible.

Cette situation préoccupe bien plus le directeur de l’établissement que l’intéressé. Ce reclassement, ajouté au déménagement d’une autre élève en cours de semestre, implique la fermeture de la classe d’italien, fréquentée par sept enfants seulement, soit moins que le minimum prescrit par la LEO! Le directeur transpire déjà à l’idée d’affronter les parents de ces sept enfants: il devra leur expliquer qu’il ont désormais le choix entre une suite de scolarité avec italien dans l’établissement de la ville voisine (lui-même devra organiser les transports scolaires…) et l’abandon de l’italien pour se consacrer à l’une des options maths & physique ou économie & droit (pas de latin dans son établissement: il a su de manière très convaincante réorienter les trois aspirants latinistes en fin de huitième). Mais comment donc faire rattraper le retard des élèves changeant d’option sur ceux qui étudient cette option depuis le début de la neuvième? Il paraît plus simple de faire comprendre au maître de maths de Gino que les hormones de ce dernier vont se calmer et que, avec un peu d’appui supplémentaire, cet élève possède toutes les potentialités pour rester en niveau 2…

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Sous le régime EVM, c’était bon an mal an une petite moitié (47%) de l’effectif de la volée qui débarquait dans les gymnases du Canton pour viser l’obtention d’une maturité ou d’un diplôme.

Deux ans après l’entrée en vigueur de la nouvelle LEO, un directeur de gymnase a téléphoné à ses confrères du degré secondaire I dans sa zone de recrutement. Les nouvelles qu’il a recueillies lui posent un problème mathématique insoluble.

Les effectifs venant juste de terminer la dixième année sont actuellement répartis pour 40% en voie gymnasiale (tendance croissante à 43% en neuvième) et 60% en voie générale. Ces faits ajoutés à d’autres informations reçues laissent statistiquement prévoir que plus de 60% de la volée va débarquer dans son établissement d’ici une année, soit un quart à un tiers de plus que les années précédentes! En termes concrets, notre directeur devra, durant le triennat à venir, ouvrir douze classes supplémentaires et engager autant de professeurs à plein temps.

Mais ce calcul reste théorique: l’infrastructure de son établissement ne peut pas absorber cet afflux: on pourra au mieux aménager trois salles de classe supplémentaires dans les constructions existantes. On peut certes imaginer à titre provisoire - un provisoire qui risque de durer - d’installer des «Portakabin» dans le préau. Mais ceci ne résoudra pas la question du manque de salles de gym et d’auditoires de chimie / biologie. Faudra-t-il dès lors remonter les effectifs à plus de vingt-cinq par classe? Notre directeur attrape des sueurs froides à l’idée de faire admettre cette réalité aux enseignants de l’établissement, ce d’autant plus qu’il doit aussi leur annoncer la disparition d’une des deux salles des maîtres, sacrifiée pour accueillir une des nouvelles classes…

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L’application de la LEO n’irait pas sans distorsions, compromis et ajustements. L’impossibilité de redoubler lors du premier cycle primaire ou l’application du chapitre concernant la pédagogie différenciée permettent d’imaginer d’autres situations croustillantes. Vous pouvez éviter ces scénarios catastrophes en votant OUI à Ecole 2010 et NON à la LEO.

 

NOTES:

1 Les termes en italique sont les désignations officielles extraites de la LEO. La désignation des années scolaires correspond de même à celles définies par la LEO pour être HarmoS-compatibles: il faut retrancher deux pour faire la correspondance avec le système actuel.

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