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Economie et politique

Denis Ramelet
La Nation n° 1921 12 août 2011
A la suite de l’entretien du mercredi 11 mai consacré à la démocratie, Mme Suzette Sandoz nous a envoyé un article qu’elle a publié il y a quelques années, intitulé «Ebauches de réflexions sur les limites de la démocratie»1.

Dans cet article, Mme Sandoz soulève nombre de questions intéressantes: la définition du peuple, les rapports entre démocratie et fédéralisme, le rôle des médias, etc. Nous souhaitons nous arrêter ici sur ce qu’elle dit des rapports de la démocratie avec l’économie:

Quelle soit marxiste ou capitaliste, l’économie se concilie assez mal avec la démocratie. Alors que, par la décentralisation ou le fédéralisme, la démocratie devrait permettre aux citoyens de vérifier directement les conséquences des décisions qu’ils prennent en tant qu’organe de l’Etat, l’économie, elle, a une tendance centralisatrice. De nos jours, il lui faut, pour être rationnelle et rentable, de grands espaces, de larges champs d’action. Elle doit agir et réagir vite, alors que la démocratie exige précisément du temps pour que les citoyens puissent être informés et digérer l’information puis, s’ils sont consultés, répondre en pleine connaissance de cause. (…) La démocratie est incontestablement un cadre idéal pour une économie prospère, puisqu’elle repose sur des principes de liberté (…). Mais la démocratie n’atteint ce but que pour autant qu’elle ne cède pas aux tentations voire aux besoins propres de l’économie. (…) Pour l’économie, la globalisation est une chance exceptionnelle. Pour la démocratie, c’est peut-être une menace.

Si nous partageons pour l’essentiel le constat que fait Mme Sandoz d’une certaine tension entre la démocratie et l’économie, nous voudrions apporter quelques précisions et développements, que Mme Sandoz aurait probablement apportés elle-même si elle avait approfondi ce point.

Il nous semble que, malgré leur commun effet uniformisateur, il faut distinguer la centralisation, qui caractérise l’économie «marxiste» ou planifiée, et la globalisation, qui est une tendance propre à l’économie «capitaliste» ou libérale. L’expérience du dernier siècle tend à montrer que l’économie planifiée est un oxymore (contradiction dans les termes) et l’économie libérale un pléonasme. Vu son caractère apparemment contre-nature, nous laisserons de côté ici l’économie planifiée pour ne nous occuper que des problèmes politiques posés par l’économie libérale, c’est-à-dire l’économie «tout court».

En effet, si Aristote appelait «économique» l’activité visant la satisfaction de besoins déterminés et «chrématistique» l’activité visant l’enrichissement sans fin2, c’est bien le mot «économie» qui s’est imposé à l’époque moderne pour désigner cette production de «toujours plus» de richesses, dont le ressort est la cupidité insatiable de l’homme déchu.

Laissée à elle-même, l’économie (libérale) tente donc d’élargir sans cesse son champ d’action, comme le dit Mme Sandoz. La «rationalisation» est un processus infini de minimisation des coûts et de maximisation des bénéfices. Outre le progrès technique, qui permet de réaliser des gains de productivité, l’autre mamelle de la rationalisation consiste dans les «économies d’échelle», qui permettent de répartir les coûts de production sur un nombre toujours plus grand d’unités produites et vendues. L’économie essaye donc de repousser sans cesse tous les obstacles à sa croissance, qu’ils soient matériels ou juridiques. Parmi les obstacles juridiques, il y a d’une part les limites qualitatives (les normes de qualité), d’autre part les limites quantitatives: non seulement d’éventuels quotas de production, qui sont rares dans une économie libérale, mais surtout les quotas indirects induits entre autres par les droits de douane aux frontières des Etats.

Les frontières des Etats constituent l’un des obstacles à la croissance aveugle de l’économie, qui exerce donc sur elles une pression constante, comme l’eau du fleuve contre ses digues, les érodant sans cesse, parfois jusqu’à les rompre. Ce n’est donc pas seulement pour les démocraties que l’économie laissée à elle-même constitue une menace potentielle, mais pour tous les Etats, quel que soit leur régime politique.

L’économie ne poursuivant, par elle-même, que sa propre croissance in(dé)finie, c’est à l’Etat, qui est le gardien du bien commun politique, qu’il appartient de cadrer (et non de régenter dans le détail) l’activité économique, pour s’assurer qu’elle reste au service du bien commun. Politique d’abord!

 

NOTES:

1 Dans: Le défi des frontières. Mélanges en l’honneur de Roland Bieber, Nomos / DIKE, 2007, pp. 167-174.

2 «Sans fin», c’est-à-dire d’abord sans finalité, sans but déterminé, mais aussi, par voie de conséquence, sans borne.

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