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Un acte politique qui ne s'achète pas

Cédric Cossy
La Nation n° 1739 20 août 2004
La nouvelle Constitution vaudoise est un document recelant nombre de bombes à retardement. La publication du projet de loi sur les fusions de communes et du décret d’incitation financière correspondant est l’une d’elles. Mis en consultation le 5 mai, les projets ont été adoptés au pas de charge par le Conseil d’Etat le 7 juillet. Si le Grand Conseil l’accepte cet automne, la loi entrera en vigueur le 1er janvier prochain.

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La fusion des communes fait l’objet de quatre articles constitutionnels, dont le plus important (art. 151) précise que:

1. L’Etat encourage et favorise les fusions de communes;

2. A cet effet, la loi prévoit des mesures incitatives, notamment financières;

3. L’Etat facilite le processus de fusion; il ne perçoit aucune taxe ou émolument à ce titre.

La Constitution stipule en plus dans ses dispositions transitoires (art. 179 al. 3) que l’application légale de son Titre IV concernant les communes et districts doit entrer en vigueur avant le 14 avril 2005, ce qui explique la hâte du Gouvernement à légiférer. Ces mêmes dispositions (art. 179 al. 4) prévoient de plus une prime extraordinaire pour les fusions de communes conclues dans les dix ans suivant la mise en application de la loi.

Avec une Constitution allant aussi loin dans le détail, on n’est pas surpris du contenu de la loi. Les vingt-trois premiers articles détaillent les points à régler dans la convention de fusion, ainsi que la procédure de préparation et d’acceptation de cette convention. Ils n’appellent que peu de commentaires, conformes qu’ils sont à la jurisprudence de fusions récentes.

Seul l’art. 22 mérite commentaire. Expression directe de l’art. 154 Cst, il permet au Conseil d’Etat, «si la préservation de l’intérêt général d’une région ou d’une ou de plusieurs communes le justifie», d’obliger des communes à soumettre le principe d’une fusion à leur corps électoral. Au vu de la tendance actuelle, on imagine que ce genre d’intervention gouvernementale se fera principalement à la demande des «villes centres», comprenez Lausanne et deux ou trois autres grandes villes. Dans les faits, le mécanisme de fusion devient alors si compliqué (scrutin sur le principe d’une fusion, préparation d’une convention par des municipalités pas forcément convaincues, second scrutin sur ladite convention) qu’il donne en fait peu de poids à l’Etat pour imposer une fusion contre la volonté des communes. Il faut cependant garder à l’esprit que la Constitution permet de modifier la loi pour renforcer le pouvoir de contrainte de l’Etat.

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La grande nouveauté réside dans la définition du soutien financier accordé aux fusions. Tout le projet ne parle d’ailleurs que de cette unique mesure incitative, alors que d’autres sont implicitement appelées par le «notamment» de l’alinéa constitutionnel concerné. On prévoit donc de verser une incitation financière après l’aboutissement de la fusion sous la forme d’une somme forfaitaire par habitant (nombre d’habitants plafonné à 1500 par commune fusionnante et 3000 pour l’entité après fusion), forfait augmenté de 10 % pour chaque commune dès la troisième si la fusion concerne plus de deux communes. En vertu de la prime extraordinaire à la fusion prévue dans les dispositions constitutionnelles transitoires, la somme est doublée si la fusion est effective dans les cinq ans qui suivent l’entrée en vigueur de la loi (1), ou augmentée de moitié les cinq ans suivants. Une commune issue d’une fusion n’a pas droit, dans les dix ans qui suivent, à recevoir une nouvelle incitation financière dans le cadre d’une fusion ultérieure.

Le projet de décret d’incitation financière accompagnant la loi fixe la somme forfaitaire de base à Fr. 250.- par habitant. Ce même décret précise que les incitations seront prélevées sur un fonds spécial, alimenté durant cinq ans au moyen d’un demi-point d’impôt cantonal supplémentaire. Les quelque 45 millions ainsi récoltés devraient suffire pour encourager les fusions durant les dix prochaines années.

A titre d’exemple, les cinq communes de Cully, Epesses, Grandvaux, Riex et Villette prévoient une fusion au 1er juillet 2006. Le nombre total d’habitants est de l’ordre de 5100, dont seuls 3000 seront considérés pour le calcul. Le forfait sera augmenté de 30 % (cinq communes impliquées), puis doublé car la fusion interviendra moins de 5 ans après l’entrée en vigueur de la loi. La nouvelle commune touchera donc exactement 1’950’000 francs d’incitation (2). Plus modestement, Arrissoules et Rovray, dont les 129 habitants se retrouveront sous le même blason au 1er janvier 2005, toucheront quelque 64’500 francs d’incitation, soit près du tiers des rentrées fiscales annuelles des deux communes.

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Le communiqué de presse ayant accompagné la publication des projets de loi et de décret accorde de nombreux mérites aux fusions de communes. Si un tel processus peut éventuellement apporter une solution aux collectivités qui peinent à recruter des candidats à la municipalité, tous les autres bénéfices annoncés nous semblent discutables. Ainsi, quelle autonomie nouvelle l’entité fusionnée va-t-elle gagner? Quelle sera la rationalisation possible quand des petites communes, disposant jusqu’alors de collaborateurs semi-bénévoles, devront se doter d’une administration professionnelle pour gérer la nouvelle collectivité? Par quelle magie une commune issue de fusion va-t-elle pouvoir investir dans de nouvelles infrastructures si ses parties n’en avaient pas les moyens avant? Dans ce domaine, un réseau de collaborations intercommunales très développé existe déjà, rendant de nouvelles et spectaculaires économies d’échelle peu plausibles.

On ne sait que penser de l’argument affirmant que les fusions induiront des économies dans le cadre de la péréquation financière. Il nous semble que, dans ce domaine, les modifications prévues dans le projet de révision des péréquations, soumis à consultation ce printemps (3), auront un effet infiniment plus important que quelques fusions de communes. En outre, ce projet ne dit mot sur l’incidence péréquative d’autres projets gouvernementaux en préparation («Police 2000» ou la modification de la loi sur les routes pour n’en citer que deux). Le fait que le communiqué parle de répercussions positives sur le coût de fonctionnement de l’Etat signifie-t-il que les fusions ne sont utiles que pour éponger de nouveaux transferts de charges du Canton vers les communes?

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On ne peut reprocher à la loi de souffrir des défauts que la Constitution contient déjà. L’idée d’une incitation à la fusion est à la fois généreuse et stupide. Un tel processus nous semble plutôt nécessiter un lent mûrissement, passant par l’apprivoisement mutuel des partenaires et par des négociations de détail parfois ardues, dont le bâclage risque de coûter bien plus cher que le sucre étatique. Si l’intérêt bien pesé des communes va dans cette direction, il faut les laisser agir à leur rythme. Il n’y a pas lieu de faire pression sur elles ou de leur agiter la carotte sous le nez. La fusion est un acte politique qui ne s’achète pas.

Le fait d’avoir fixé un délai de mise en application (4) est tout aussi critiquable. Le communiqué accompagnant le projet de loi, truffé de déclamations incantatoires invérifiables, sent le manque de réflexion et de préparation. En supposant qu’un référendum soit lancé et aboutisse contre la loi sur les fusions, sera-t-il déclaré non recevable, car un refus populaire empêcherait l’adoption de la loi dans les délais prescrits par la Constitution?

Même si le projet est constitutionnellement conforme, le manque d’imagination de ses concepteurs est consternant. Alors que bien d’autres mesures incitatives à la fusion étaient envisageables (conseils juridiques, simulations financières, tenue du secrétariat lors de l’élaboration de la convention de fusion...), on a retenu le seul arrosage financier, généreusement réalisé avec l’argent des contribuables vaudois. Devant l’effort substantiel qui sera demandé prochainement à ces derniers pour rétablir l’équilibre des finances vaudoises, la somptuosité des primes à la fusion est choquante. Nous invitons donc nos députés à revoir fermement à la baisse la somme forfaitaire par habitant prévue dans le décret, tout comme nous lui demandons d’amender la loi pour réduire à sa portion congrue la prime complémentaire pour les fusions intervenant dans les dix prochaines années.

L’incitation financière à la fusion est une bien maigre compensation face à toutes les charges et missions que l’Etat a déléguées ou s’apprête à transférer aux communes. Bien plus que la loi sur les fusions, c’est le désordre créé par les grands projets de restructuration étatique qui sera le vrai moteur de nombreux regroupements communaux, beaucoup de collectivités se retrouvant acculées à la faillite ou à la fusion. Dans cette perspective, les intentions de l’Etat, particulièrement brutales à l’encontre des petites communes rurales, ne sont-elles pas conformes à l’esprit de l’art. 151 de la Constitution?

NOTES:

1) L’effet rétroactif s’applique au 14 avril 2003, date d’entrée en vigueur de la Constitution. La Rogivue et Maracon ont ainsi manqué, à quatre mois près, l’encaissement de quelque Fr. 217'000.- de prime incitative pour leur fusion!

2) Malgré le moratoire de 10 ans, ces cinq communes peuvent théoriquement optimiser l’incitation reçue de l’Etat en groupant Cully, Epesses, Riex et Villette en 2006, puis en fusionnant avec Grandvaux en 2007. La meilleure utilisation du nombre d’habitants leur permettrait alors d’encaisser 2,7 millions au lieu de 1,95!

3) Ce projet mériterait un article en soi: il fait de Lausanne une commune particulière et privilégiée, il implique, à notre avis, des changements plus brutaux que les réformes financières d’EtaCom et il ouvre la porte à de nouveaux transferts de charges du Canton aux communes.

4) L’empressement législatif voulu par la Constitution serait-il la cause de la démission de deux Conseillers d’Etat pour raison de santé?

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