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Médecine: contre la planification étatique

Jean-François Luthi
La Nation n° 2009 9 janvier 2015

Le Département de la santé, dirigé par M. Maillard, met actuellement en consultation un projet visant à permettre au Conseil d’Etat d’autoriser ou non l’acquisition et le renouvellement d’équipements médicaux lourds, c’est-à-dire chers. Il s’agit notamment d’IRM, de scanners, de matériel de radiothérapie, mais également de salles d’opérations. Cela ne se limiterait pas aux établissements publics, comme c’est déjà le cas de fait, mais s’étendrait à l’ensemble du secteur privé, en particulier aux cliniques privées.

Or, ces investissements ne coûtent pas un sou à l’Etat. Comment dès lors comprendre ce qui s’apparente à un acharnement pour l’omnipotence étatique dans la santé? Certes, la pensée socialiste chère au chef du Département cherche naturellement à réprimer tout ce qui s’oppose à la planification de l’Etat, mais quand même.

L’origine d’une telle attitude est plus profonde. Car même si l’on montrait combien beaucoup de nouvelles technologies ont été d’abord et avec succès développées en secteur privé, avant de se généraliser, si l’on montrait combien toute l’évolution de la médecine s’est faite sur la base d’un travail souvent acharné dans un cadre de liberté et de responsabilité entières, seules garantes d’une véritable efficacité, cela ne suffirait pas à faire changer cette mentalité!

Pourtant l’Etat sait reconnaître l’importance et la place des cliniques privées dans le paysage sanitaire vaudois.

Si l’on démontrait encore que tout cela ne peut qu’aboutir (il faut bien compter dix à vingt ans pour voir les effets délétères de telles décisions) à une démotivation pour la profession médicale par manque d’expression possible des capacités entrepreneuriales, à sa féminisation accélérée, à la limitation de la capacité thérapeutique du corps médical, et finalement à une diminution de qualité dont les patients auront à pâtir, cela ne suffirait pas…

Le mal se situe encore ailleurs.

Il y a peut-être la peur que le secteur privé n’ait davantage de succès par son activité, sa responsabilité assumée et la qualité de son plateau technique. Le brimer entraînerait une comparaison plus aisée avec le secteur public à l’aube d’une possible rationalisation des soins dans les établissements publics. Jalousie et besoin de maîtriser?

Mais l’élément clé pour saisir cela est l’évolution de la perception de l’être humain dans la pensée politique occidentale. La personne est désincarnée pour être réduite à un ensemble de fonctions et de rendements économiques et sociaux. En médecine, on tend à la considérer comme un ensemble d’organes qu’il faut réparer à moindre coût, en utilisant des «prestataires de soins».

Or, les besoins humains fondamentaux en matière de santé sont d’un autre ordre. Il s’agit de personnes malades et non de cas, dont les enjeux se révèlent de façon plus intime et plus radicale qu’ailleurs. Là, pas de rationalisation possible, mais un secret médical à respecter. L’humain à soigner est vulnérable, la part fragile et intelligente de la relation médecin-patient nécessite indiscutablement la liberté de choix de chaque partie, la liberté diagnostique et thérapeutique. C’est le colloque singulier cher à Hippocrate et cela n’a pas changé depuis deux mille quatre cents ans! L’éthique libérale du médecin y joue un grand rôle.

Ne pas comprendre cela, comme en témoigne la relative cécité du monde politique, ne pas accorder confiance aux professionnels, mais préférer l’avis de technocrates éloignés des acteurs du terrain, dicter à ces derniers en tout leur conduite, infantiliser aussi les patients en insinuant sans cesse qu’ils consultent à tort, considérer les soignants comme œuvrant d’abord dans un but vénal, ce n’est pas seulement les mépriser, mais c’est se préparer à vivre dans une société encore moins humaine et libre. Ce n’est en tout cas pas ainsi que l’on peut, contrairement à ce qui est affirmé, limiter raisonnablement l’augmentation des coûts de la santé. Il faudra bien un jour assumer l’évolution du type de société dans laquelle nous vivons et son vieillissement sans faux-semblants.

M. Maillard croit à l’étatisation complète du système de soins, malgré les mauvais exemples ailleurs dans le monde, en particulier au Royaume- Uni. Dans ce dernier cas, un système parallèle hors assurance d’Etat s’est rapidement mis en place, débouchant sur une vraie médecine à deux vitesses.

Le pouvoir décisionnel du Département de la santé est déjà considérable. Il manque encore, et ce sont les étapes suivantes tout à fait prévisibles, la compétence de définir le nombre des médecins et autres membres du personnel soignant, réalisant une clause du besoin non seulement sur le matériel, mais sur tous ceux qui pratiquent les soins; il s’agira ensuite de faire en sorte qu’ils soient tous salariés, en particulier les médecins. La médecine libérale aura disparu, au grand malheur de chacun.

C’est par des coups de canif et non en une fois que ces choses se préparent. Avec le contingentement du matériel médical, le Département de la santé s’attaque à un sujet qui pourrait paraître presque banal. Or, il n’en est rien et il faudra que la population et les acteurs de la santé luttent fermement contre chaque velléité d’étatisation.

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