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Le retour du style

Félicien Monnier
La Nation n° 2009 9 janvier 2015

On appelle aujourd’hui blazer un veston bleu marine, voire noir, à boutons métalliques. Il peut être droit ou croisé. Le porter avec des mocassins dans lesquels on est pieds nus affichera une décontraction très «Côte d’Azur». Qu’un polo jaune remplace la chemise garantira l’apparence estivale. Accompagné d’un pantalon gris clair, d’une paire de richelieus noirs et d’une cravate colorée, la tenue sera admissible pour un vernissage d’exposition, pas pour un rendez-vous d’affaires.

Parties de l’inconscient collectif, ces vestons ont une origine peu connue. Qui se souvient que le capitaine du HMS Blazer ordonna le port d’un veston croisé bleu en prévision d’une inspection de Victoria en 1837? Sa version droite nous vient des vestons armoriés et colorés des clubs sportifs universitaires anglo-saxons. De telles histoires existent pour chaque pièce du vestiaire masculin.

Celles-ci ont rempli ou remplissent encore une fonction concrète dans la vie quotidienne.

La solidité attendue des vestes de chasse Barbour, en indestructible coton huilé, en a fait une pièce maîtresse du vestiaire rural. Le tweed, fait de laine d’Irlande, produit des vêtements épais, résistant aux fourrés, imperméables au crachin. Une paire de Crockett and Jones bien entretenues et portées moins d’un jour sur deux n’aura jamais rien à craindre de la pluie ni du soleil. Respectés, tous ces vêtements accompagneront leur propriétaire de nombreuses années. La durabilité d’un vêtement reste un excellent critère d’appréciation de sa qualité.

L’environnement naturel peut imposer un vêtement. Il en va de même de l’environnement social. Les pays de tradition monarchique ont gardé un sens prononcé du protocole vestimentaire. Ainsi en va-t-il de l’Angleterre. Les variations sur le costume formel, de la jaquette pour les courses au complet de ville des affaires, en passant par le smoking et le trois-pièces, y sont encore réalisées avec exigence par les maîtres tailleurs de Savile Row à Londres. On retrouve le même savoir-faire dans les grandes villes européennes. Ces pièces archi-classiques connaissent des différences par pays et par artisans que les habitués reconnaissent au premier regard.

Formellement, ce qui les distingue d’un complet comme on en croise tant dans nos rues tient au rapport au corps. Un vêtement sur mesure épouse les formes, met en évidence ce dont on peut se vanter. Il casse les disgrâces de l’embonpoint. Une autre solution est de ne pas hésiter à faire retoucher une veste ou un complet. Une veste de marque inconnue «fittant» parfaitement sera toujours mieux qu’une veste très chère mais mal portée.

Ces vêtements, conçus pour faire la guerre, braver la pluie et le froid ou être présenté à la reine nous rappellent que le vêtement ajoute la fonction sociale à la fonction pratique. En cela, il entre en résonnance avec ce qui fait notre quotidien. Une société structurée connaît des règles vestimentaires précises.

Il n’est donc pas étonnant que le style traditionnel, et le formalisme politique auquel il s’associe, ait été l’objet de la contestation soixante-huitarde. Les socialistes vaudois s’amusent encore à voir dans la cravate la marque d’une société oppressante et futile. C’est vrai dans leur conception individualiste. En réalité, on ne peut échapper à la constitution de rapports sociaux structurés. Les socialistes ont simplement instauré un nouveau code. Celui-ci contribue à cataloguer le porteur de cravate dans le camp bourgeois.

La tendance a donc longtemps été à un double affaiblissement. La qualité du vêtement a souffert de l’industrialisation, et la déstructuration de la société a brouillé la complexe hiérarchie des rapports sociaux. Elle régissait la diversité des garde-robes.

Aujourd’hui, un renversement se produit. Difficile à expliquer, il se nourrit de différentes expériences, vécues par différents milieux. Le monde du divertissement de masse n’y est paradoxalement pas indifférent. Les personnages des séries TV Mad Men, Suits ou Downtown Abbey sont devenus les icônes d’un style extrêmement classique sans être ringard.

Par ailleurs, la nébuleuse des hipster- bobo-chapistes joue un certain rôle. Elle rassemble des jeunes éduqués, sensibles à ne pas adopter un style commercial, mais digne. Elle peut accorder beaucoup d’intérêt à «l’authenticité», historique et artisanale de ses vêtements. Nous les voyons donc fréquenter les barbiers à l’ancienne, porter de belles chaussures et approcher le sur-mesure.

Enfin, il n’est pas exclu que la crise économique ait jeté une manière de discrédit sur les grandes marques internationales, leurs procédés de fabrication peu transparents ou les salaires de misère de leurs employés d’outre-mer. On voit donc réapparaître un intérêt non négligeable pour l’artisanat local de qualité: le tailleur, le chapelier, le cordonnier…

Internet de son côté a donné la parole à des passionnés. Les blogs attentifs au style traditionnel ont fleuri. Dans une voie empruntée entre autres par le remarquable blog parisiangentleman.fr de Hugo Jacomet, des milliers d’internautes ont pu acquérir une éducation en matière de vêtement masculin. L’accès à toute une littérature, déjà existante, a été élargi. L’engouement est tel que les grandes enseignes sont contraintes de donner à leurs vendeurs une formation spécifique. Trop de clients en connaissaient plus qu’eux.

La question doit se poser. S’agit-il d’une mode? Se passionne-t-on soudain pour le style masculin éternel par goût momentané? Peut-être. Mais nous savons qui sera le gagnant. Le monde qui accueille les nouveaux passionnés de style traditionnel donne au vêtement une dimension bien plus large que ce que la consommation de masse a à offrir. Un beau vêtement nous propose une perspective historique, artisanale et sociale. Constitutive de l’identité de l’homme occidental, elle nous fait, au quotidien, réaliser la profondeur de notre culture.

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