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Le Mur grec de Nicolas Verdan

Vincent Hort
La Nation n° 2031 13 novembre 2015

Né en 1971 à Vevey, Nicolas Verdan partage ses origines entre le Canton de Vaud où il réside et la Grèce où il voyage souvent. Journaliste et écrivain, il vient de publier un nouveau roman dont le thème s’inscrit fort à propos dans l’actualité du moment. Le Mur grec1 se déroule en effet sur fond de crise financière et d’immigration clandestine incontrôlée. Déjà dans son premier roman Le Rendez-vous de Thessalonique paru il y a dix ans (La Nation n° 1774), Nicolas Verdan rendait compte de ce flux de migrants, ombres silencieuses et insaisissables, avançant inexorablement vers l’eldorado européen fantasmé.

L’auteur place son récit sur les rives du fleuve Evros qui trace la frontière entre la Turquie et la Grèce. Ces douze kilomètres et demi constituent l’un des principaux points d’entrée des clandestins dans l’Espace Schengen. Nuit après nuit, des centaines de migrants franchissent le fleuve sans que la police grecque ou les patouilles européennes de la Frontex2  ne parviennent (ni ne cherchent) à les contenir.

Dans ce morne décor, le policier Agent Evangelos se voit chargé par ses supérieurs de mener une discrète enquête après la découverte d’une mystérieuse tête humaine sur les bords du fleuve. Sa mission est cependant claire, il s’agit de ne pas faire de vagues et surtout de ne pas nuire aux intérêts supérieurs du pays qui tente de soutirer de Bruxelles d’importantes subventions pour ériger un mur de barbelés censés interrompre le flux des migrants.

Sans illusion quant aux enjeux financiers et aux compromissions politiques, Evangelos sait qu’il ne fera pas triompher la justice mais il se battra au moins pour établir la vérité. Son enquête le mettra aux prises avec une prostituée russe, un lieutenant de police intègre, des officiers européens dépravés et un improbable homme d’affaires venu proposer aux autorités grecques son mur de barbelés. Accusé d’espionnage industriel au profit de l’Allemagne, ce dernier voudra s’enfuir et terminera sa cavale en cherchant à traverser l’Evros, non pas pour gagner sa rive grecque, comme des milliers de migrants, mais en tentant de trouver refuge en Turquie.

Cette inversion finale du sens de franchissement de la frontière n’est pas le moindre paradoxe du roman.

A contrario des clichés habituels sur la Grèce, Nicolas Verdan montre un pays meurtri par l’incurie de ses dirigeants et les exigences aberrantes de la troïka mais qui refuse d’abdiquer sa dignité malgré la pauvreté qui s’insinue partout. Certes, il y a ce pays vendu à l’encan où même les cure-dents sont chinois, une société à genoux avec […] les femmes enceintes en chambre commune, les infirmières non payées, les jeunes internes des hôpitaux publics sous-payés inquiets de voir baisser le stock disponible d’antidouleurs, les héros de la résistance contre les nazis qui mendient des restes de poulet dans l’arrière-cour des tavernes, les serveurs de café désœuvrés, les professeurs qui ne peuvent pas payer le chauffage, les mères au foyer qui ont atteint la limite de leur carte de crédit, […] les maîtresses d’école qui sont priées de nettoyer elles-mêmes les toilettes de l’établissement […], mais cela n’empêche pas Evangelos de conserver sa lucidité et une forme d’espoir trempé dans les vicissitudes de l’histoire grecque. Assis à ma table, je pense aussi à mon métier d’agent du renseignement à la solde de ministres interchangeables, à ce régime démocratique où se suivent et se ressemblent des familles politiques terrorisées, sur la défensive. Je pense à tout cela et je ne trouve aucune explication plausible en dehors du mouvement incessant qui m’entraîne et me conduit à l’instant présent dans la rue Phalirou, triste, chaotique, mais belle aussi, droite dans sa pauvreté, digne dans sa crasse, ce parcours nocturne qui me ramène à cette ville où je renais ce soir.

On sent que Nicolas Verdan aime ce pays qu’il connaît bien. C’est donc sans concession qu’il dénonce l’hypocrisie de l’Union européenne, particulièrement de l’Allemagne qui exige toujours plus de sacrifices de la Grèce mais continue à lui vendre sous-marins et torpilles. Son roman est aussi l’occasion pour le lecteur de rencontrer un peuple persévérant qui résiste pour ne pas laisser la crise – qu’elle soit financière, politique ou migratoire – s’installer définitivement dans les esprits.

Notes:

1 Nicolas Verdan, Le mur grec, Bernard Campiche, août 2015, 252 p.

2 Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures (Frontex).

 

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