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Des bombes pour communiquer

Jean-François Pasche
La Nation n° 2095 27 avril 2018

Le 15 avril au matin, nous apprenions que l’oncle Sam avait fait usage de ses missiles, tout beaux tout neufs, fraîchement sortis d’usine, le verni de finition à peine sec, contre la Syrie. C’est en substance par ces mots que le président Trump, avec son tact diplomatique habituel, avait fièrement décrit son arsenal prêt à frapper, sur Twitter comme habituellement. Il n’est ici presque pas la peine de parler de l’attaque chimique ayant servi de prétexte, ce genre d’événement survenant toujours au moment opportun pour les Etats-Unis, lorsque qu’ils sont face à une situation politique internationale à leur désavantage. En l’occurrence, ils n’étaient pas les seuls, le Royaume-Uni et la France ayant cru bon de se joindre à cette manifestation de force.

Mais que s’est-il passé vraiment? Nous ne pensons pas que l’on puisse répondre à cette question, tant nous avons l’impression d’être en présence d’une fabrique de l’information, du côté de l’Otan comme de la Russie. En effet, les nouvelles provenant de ces deux bords sont la plupart du temps fort contradictoires. D’un côté, on apprend qu’une attaque chimique a eu lieu le 7 avril à Douma. Cette localité vient d’être reprise par les forces syriennes, qui sont mises en cause. Décidément, les succès remportés contre les islamistes par le régime de Bachar deviennent insupportables, d’autant plus qu’ils sont la preuve indirecte de la puissance retrouvée de la Russie. Cette attaque arrive donc à point. De son côté, le camp russe nie en bloc et «met en garde» contre une réaction irréfléchie de l’Otan, qui provoquerait une escalade de violence et risquerait de faire entrer les USA dans une guerre ouverte contre la Russie.

Cependant, il a semblé chez nous que l’unanimité n’était plus de mise. Nos médias ont parlé d’attaque chimique «présumée», et continuent actuellement d’utiliser cette nuance. On a senti de manière générale une certaine réticence à cautionner aveuglément un nouveau déferlement de bombes occidentales, dont les capacités à imposer la démocratie ne font plus illusion. S’il y a bien une chose sur laquelle tout le monde s’accorde, c’est que la Syrie a beaucoup souffert de la guerre, et pas seulement à cause de Bachar el-Assad. De plus, il ne faudrait pas encore une fois favoriser l’éclosion de nids à terroristes.

Malgré tout, après une semaine d’hésitation, l’Otan frappait. C’est là la seule certitude dans toute cette affaire. Les Etats-Unis, appuyés par la France et la Grande-Bretagne, ont lancé leur attaque contre quelques lieux clés de la chimie syrienne, selon leurs dires. Nous avouons avoir été un peu surpris, car nous pensions que l’opinion publique occidentale n’était plus suffisamment dupe, et que la Russie avait été suffisamment dissuasive.

Mais finalement, elle l’a été, car ces frappes se sont bien vite révélées un simple coup d’épée dans l’eau. Aucun dommage ne pouvait raisonnablement être causé directement contre les troupes russes présentes en Syrie. Les forces syriennes, qui ont eu une semaine pour se préparer, sont allées se mettre sous leur protection. Notamment, les aérodromes trop vulnérables ont été désertés, au profit de ceux où les Russes sont présents, soit aux endroits stratégiques. On ne sait pas au juste ce qui a été détruit. Il semble qu’à peine quelques blessés sont à déplorer et qu’aucun équipement militaire important, ou en tout cas décisif pour le succès de Bachar dans cette guerre, n’ait été touché.

Il apparaît dès lors plausible que cette attaque puisse être réduite à une opération de communication, dont le but était de montrer que les auteurs des frappes n’ont pas l’intention de se laisser faire sur la question syrienne. Mais si Trump a démontré qu’il avait de gros muscles, bien huilés, brillants, l’attaque qu’il a orchestrée est bien plus un aveu de son impuissance face à la Russie, dont il a fortement ménagé la sensibilité. Quant à Bachar el-Assad, il sait maintenant que le meilleur bouclier anti-missile, celui dont Sadam Hussein et Mouammar Kadhafi ne disposaient pas, est la présence des Russes dans son pays. Dans cette affaire, c’est bien à eux qu’a profité ce coup de comm’.

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