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La Stratégie fiscale 2022

Vincent Hort
La Nation n° 2101 20 juillet 2018

Après avoir été longtemps reléguée pour cause de redressement des finances cantonales, puis d’imposition des entreprises, la question de la fiscalité des personnes physiques est de retour. Début juin, le Conseil d’Etat a présenté sa Stratégie fiscale 2022, qui comprend un ensemble de mesures résultant de différents arbitrages politiques. Ce «paquet» prévoit notamment une baisse modérée – de l’aveu même du gouvernement – du coefficient d’imposition cantonal des personnes physiques, un soutien accru aux communes et des dépenses supplémentaires en faveur des politiques prioritaires de la législature (environnement, innovation, enfance, soins  à domicile, mobilité, sans oublier la fonction publique).

Après la publication des comptes 2017, le Conseil d’Etat se devait de prendre une initiative. En effet, les comptes cantonaux de l’exercice écoulé présentaient, pour la treizième fois consécutive, un confortable excédent de revenus à 147 millions de francs, après avoir amorti ou préfinancé ce qui pouvait l’être. Face à la bonne santé retrouvée et durable du ménage cantonal, des revendications s’expriment de toute part. Elles demandent une baisse de l’imposition des personnes physiques et un allégement des charges des communes. Il est vrai que tant les contribuables que les communes ont largement contribué à l’assainissement des finances cantonales.

Le projet de Stratégie fiscale 2022 appelle quelques commentaires. Le premier est somme toute réjouissant puisque le Canton juge sa situation financière suffisamment prospère pour lui permettre de proposer une réduction de ses recettes de plus de 90 millions de francs tout en augmentant ses dépenses d’un montant à peu près équivalent. Ces propositions dénotent une inflexion certaine par rapport au Programme de législature, qui n’envisageait la réduction de la charge fiscale des personnes physiques qu’au travers d’un timide «examen de la nécessité de modifier l’imposition sur la fortune» (mesure 2.6)…

Malgré les compromis et les équilibres politiques, la Stratégie fiscale 2022 n’a pas manqué de susciter différentes critiques. La réduction d’un point et demi du taux d’impôt cantonal sur le revenu échelonné sur trois ans est jugée largement insuffisante, notamment par l’UDC, qui a demandé par voie de motion une baisse de 3 points dès l’année prochaine. Parallèlement, le Conseil d’Etat prévoit d’augmenter les déductions autorisées pour les primes d’assurance maladie, faisant ainsi droit à l’initiative des jeunes PLR vaudois qui cible spécifiquement la «classe moyenne». Ces mesures n’empêcheront toutefois pas le canton de Vaud de demeurer parmi les plus onéreux en termes d’imposition des individus en comparaison intercantonale.

De nombreuses communes estiment également ne pas y trouver leur compte. Elles étaient déjà engagées dans des discussions serrées avec le Canton pour compenser tout ou partie des baisses de recettes découlant de la modification du régime d’imposition des entreprises. La mise en œuvre de la RIE III vaudoise, confortée par un net succès dans les urnes en 2016, constitue la priorité actuelle du Conseil d’Etat en matière fiscale. Les bons résultats des comptes cantonaux 2017 ont d’ailleurs permis au gouvernement de préfinancer à hauteur de 27 millions une partie des coûts supplémentaires que les communes devront supporter à partir du 1er janvier 2019. La Stratégie fiscale 2022 annonce un accroissement possible des moyens à destination des communes et même une révision en profondeur du système de péréquation mis en place en 2004 par la réforme EtaCom. Il s’agit là pour les Communes d’une perspective lointaine et incertaine alors que l’alourdissement de leurs charges imposées est une réalité actuelle et concrète.

C’est toutefois le volet «dépenses» de la Stratégie fiscale 2022 qui est le plus problématique. Celui-ci comprend un florilège de mesures dans les domaines prioritaires de la législature. Il s’agit, entre autres, de dotations à des fonds dédiés à l’énergie et à l’enfance, de financements en faveur de la biodiversité, du climat, des transports publics et de la transition numérique, ainsi que de l’instauration d’un salaire minimum de 4’000 francs par mois dans la fonction publique dès 2020.

Outre que l’on ne comprend pas vraiment pourquoi une politique fiscale, qui traite en principe des revenus de l’Etat, devrait comporter un volet impliquant une aggravation de ses charges, il convient de relever que les dépenses supplémentaires annoncées s’ajoutent à une planification financière 2017-2022 qui prévoit déjà le retour aux déficits dès 2018 et une remontée de la dette à 3 milliards à l’horizon 2022. Or les dépenses du Canton ont augmenté au cours des dix dernières années à un rythme soutenu de 3,5% par an. Les revenus ont suivi la même pente ascendante, notamment l’impôt sur le revenu des personnes physiques, dont le produit a augmenté de près de un milliard de francs au cours des dix dernières années, soit une hausse annuelle de 3,1%. Cette croissance du ménage cantonal est impressionnante. Elle s’explique en partie par l’augmentation de la population et de l’activité économique, mais également par la tendance de l’Etat à accroître son champ d’intervention. En effet, tant la démographie (+ 1,7% par an) que le PIB vaudois (+ 2,3% par an) ont progressé nettement moins vite au cours de ces dix dernières années que les dépenses cantonales ou que la ponction fiscale sur le revenu.

A différents égards, cette évolution est imprudente. Après de nombreuses années de vaches grasses, le Canton n’est pas à l’abri d’un retournement de la conjoncture mondiale, sur laquelle il n’a aucune prise. Dans un tel scénario, qui n’est pas invraisemblable compte tenu, par exemple, de l’exacerbation des tensions commerciales entre les grands blocs, le Canton pourrait se trouver confronté à une contraction subite de son activité économique et une réduction rapide des recettes publiques alors même que les dépenses nouvelles auraient été durablement installées.

Considérant la régularité des excédents financiers enregistrés par les comptes cantonaux depuis 2005, c’est à bon droit que le Conseil d’Etat propose aujourd’hui une première réponse aux revendications des contribuables et des Communes qui demandent un allégement de leurs charges. Par contre, il convient de considérer toute augmentation supplémentaire des dépenses publiques avec la plus grande vigilance, car les équilibres financiers sont vite rompus. Le souvenir de la crise des finances publiques est encore cuisant dans l’esprit des Vaudois, qui ont consenti beaucoup d’efforts pour en sortir et ne souhaitent pas les voir s’évaporer.

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