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Occident express 9

David Laufer
La Nation n° 2101 20 juillet 2018

Nous avons récemment décidé de vendre notre voiture. Un acheteur s’est présenté. Il a fait le tour de l’objet qui se trouvait sur le parking de mon immeuble, tandis que je lui exposais les infinies qualités du véhicule. Il m’a arrêté au milieu d’une phrase et m’a demandé d’où je venais. «Slovène?», a-t-il tenté. Ça me flatte à chaque coup, cette idée qu’un Serbe puisse imaginer à mon accent que je sois de Slovénie, dont la langue est très proche du serbe. «Suisse», ai-je simplement répondu. A sa réaction («Oooh…»), il était manifeste que c’était lui qui s’en trouvait presque flatté. Je lui ai proposé de faire un tour pour tester le moteur. «Pas besoin», a-t-il répondu, «vous êtes Suisse, ça me suffit», et il a terminé sa déclaration d’un petit rire entendu. Lorsque nous étions en train de finaliser l’affaire, il m’a envoyé un sms: «Je suis content que vous soyez Suisse. J’aime ce pays et ses habitants. J’adore leur sérieux dans le travail et leur responsabilité.» Etre Suisse en Serbie – de naissance, il va de soi – c’est accepter de faire partie de ce qui est perçu par les locaux comme une forme de race supérieure, exempte de tous les défauts dont ils se sentent perclus. Il m’est impossible de leur expliquer que c’est précisément ce sens aigu de l’autocritique, cette certitude qu’il existe quelque chose de mieux que ce qu’ils connaissent qui me les rend si sympathiques et humains. Que j’ai souvent l’impression en Suisse de parler avec des gens qui se pensent immunes à la critique et satisfaits d’eux-mêmes jusqu’à la nausée. Les regards que je reçois par ici lorsque je tente une telle explication en disent long: «De quoi te plains-tu, toi qui viens du paradis et qui s’est cru assez malin de préférer l’enfer?» Peut-être les Serbes ont-ils raison. Il n’est pas impossible après tout que je sois victime d’une illusion tenace, que je ne sois pas capable d’apprécier la chance que j’ai. Mais il n’est pas impossible que je préfère un peuple qui rêve encore à un avenir meilleur à un peuple qui s’y croit arrivé. N’est-ce pas là une disposition d’esprit typiquement suisse?

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