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Vaudois, Vaudoises, mariez-vous!

Cédric Cossy
La Nation n° 2102 3 août 2018

S’étant engagé à livrer une contribution au rédacteur en chef aux abois, le soussigné se trouva fort dépourvu une fois le délai rédactionnel venu. Pas de mouche ni de vermisseau à croquer dans une actualité estivale à encéphalogramme plat. Quel marronnier fallait-il secouer pour trouver un sujet présentable?

Les klaxons égayant la fin de ce samedi après-midi en amenèrent l’idée. Ils n’émanaient pas de supporters belges égarés en Helvétie, mais d’un cortège de mariage paradant entre le «thé» et le lieu du gueuleton vespéral. «Encore deux qui se séparent sans klaxon ni trompette avant deux ans» a prédit le voisin en les voyant passer.

Se marie-t-on encore beaucoup dans le Canton? Les prophéties du voisin sont-elles fondées? Une plongée dans l’annuaire statistique vaudois permet d’y voir plus clair.

Les nombre de mariages dans le Canton est étonnamment stable depuis le début des années septante, avec 3500 couples passant chaque année devant l’officier d’Etat civil. Les premiers mariages, dans lesquels les deux conjoints sont célibataires, ont en revanche régulièrement diminué de 2800 à 2300 sur la même période. Considérant le quasi doublement de la population vaudoise durant ces quarante dernières années, on se marie donc proportionnellement deux fois moins en premier mariage, mais on se remarie autant, ni plus ni moins, qu’autrefois.

Pour l’anecdote, on recense annuellement en sus quelque 80 partenariats enregistrés. Le nombre s’est stabilisé après l’engouement enregistré les premières années suivant l’introduction de ce type de contrat en 2007. 

L’âge moyen auquel on se marie a progressé de 28 à 35 ans sur la période considérée et aucun signe ne laisse prévoir la fin de cette évolution. L’âge du premier mariage passe quant à lui de 25 à 31 ans. Même si les femmes sont statistiquement de deux à trois ans les cadettes de leurs maris, ceci signifie un étirement notable des générations.

Nous aurions voulu analyser le nombre de mariages civils se prolongeant par une union religieuse, mais ces données ne semblent pas être recensées. Les statisticiens vaudois nous renseignent par contre sur la confession des mariés. En 1970, 45% des mariages unissaient des réformés, 21% des catholiques et 32% étaient religieusement mixtes. Un petit pourcent concernait les autres religions ou les sans confession. Durant le dernier lustre, la proportion des unions entre réformés s’est effondrée à 11%, celles entre catholiques a baissé à 16%, alors que les mariages interconfessionnels sont restés stables à 33%. La catégorie désormais en tête (39%) est celle qui comprend au moins un des mariés de confession autre (notamment musulmane) ou sans confession. Ces chiffres soulignent s’il le fallait encore l’érosion des églises chrétiennes officielles, surtout la réformée.

La question des nationalités mérite sa rubrique. Si, en 1970, 67% des mariages dans le Canton unissaient deux Suisses, cette proportion a chuté à 37%. Les unions entre deux étrangers passent de 11 à 22% dans la même période, alors que les mariages binationaux progressent de 22 à 41%. La comparaison avec les valeurs1 auxquelles on pourrait statistiquement s’attendre au vu de la proportion d’étrangers établis dans le Canton (21,5% au début des années septante, 34% maintenant) conduit à plusieurs constats: autour de 1970, les Suisses, mais aussi les étrangers, préféraient s’unir à un conjoint de même nationalité. Les mariages binationaux étaient statistiquement fortement sous-représentés. Aujourd’hui, la part des mariages entre étrangers semble sur-représentée d’un facteur deux, alors que celle entre Suisses est passée en-dessous des attentes statistiques. Cette observation est démentie si l’on tient compte des structures d’âges différentes des communautés résidentes: la proportion d’étrangers entre 25 et 40 ans – l’âge propice aux rencontres avant mariage – avoisine les 46% ce qui laisse prévoir 22% d’unions entre étrangers (on y est!) et 29% entre Suisses. Les 37% enregistrés indiquent le maintien d’une certaine préférence nationale dans le choix du conjoint.

Le nombre de divorces a suivi une évolution différente de celui des mariages. Alors que 760 séparations (22% rapportés au nombre de mariages) étaient annuellement prononcées au début des années septante, leur nombre a grossi à plus de 2000 par an au début du XXIe siècle (58% des mariages) pour redescendre lentement à 1690 par an aujourd’hui (48% des mariages). L’âge moyen auquel on divorce a simultanément progressé de 37 à 45 ans et la durée moyenne des unions se soldant par un divorce de 10,5 à 13 ans. Cette durée dépend en plus de la nationalité des mariés: une étude du SCRIS de 2006 concluait à une durabilité des couples suisses, supérieure de trois ans aux couples étrangers et de quatre aux couples binationaux. 

Les adeptes du partenariat enregistré ne sont pas plus à l’abri des problèmes de couple que les gens mariés: le nombre de personnes en rupture de partenariat à fin 2016 indique que près de 10% des partenariats enregistrés depuis 2007 avaient été dissous. C’est un peu plus que les 7% de divorces dénombrables sur les mariages conclus durant la même décennie.

L’évolution des pratiques maritales n’est pas sans influence sur les statistiques d’Etat civil. Depuis 1970, la proportion de célibataires dans la population vaudoise a cru de 41 à 46%, dépassant celle des personnes mariées, dont la part a régressé de 50 à 41%. Cette diminution peut sembler faible alors que, on l’a vu, on se marie proportionnellement deux fois moins que par le passé. Les facteurs freinant cette évolution sont d’une part la durée croissante des mariages (l’espérance de vie – aussi à deux – augmente et on divorce plus tard), d’autre part l’immigration, par laquelle des couples déjà mariés s’installent dans le Canton. Le nombre de divorcés n’a quant à lui cessé de croître pour passer de 3% en 1970 à près de 9% aujourd’hui. Les femmes de 45 à 69 ans représentent à elles seules le tiers de cette population. La famille monoparentale féminine semble hélas avoir encore de beaux jours devant elle!

Que retenir de cette exploration statistique du mariage dans le Canton? La perte d’intérêt que suscite cette forme traditionnelle de communauté est marquée, surtout dans les jeunes générations. La nécessité d’une union n’apparaît le plus souvent qu’à l’arrivée des enfants ou lors de l’accès à la propriété. Cet engagement plus rare et plus tardif s’avère toutefois plus réfléchi et solide qu’il ne l’était il y a 20 ans. On ne peut lutter contre les mœurs par les lois, mais un petit coup de pouce fiscal aux couples mariés permettrait peut-être d’augmenter l’attractivité de l’institution.

La part croissante des mariages binationaux pourrait constituer un moyen inattendu d’intégration de la forte communauté étrangère établie sur sol vaudois.

Notes:

1  Avec 34% d’étrangers et 66% de Suisses, la probabilité statistique de voir deux Suisses se marier est de 66% x 66% = 43%. De même l’union entre deux étrangers est statistiquement égale à 34% x 34% = 11%, ce qui laisse 46% de mariage binationaux.

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